Stéphanie Maupas est l’une des journalistes qui connaît le mieux les arcanes de la justice internationale. Elle fut longtemps basée à Arusha, siège du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui a fermé récemment ses portes, puis depuis 13 ans, elle s’est installée à La Haye pour suivre les travaux de la Cour pénale internationale (CPI). Journaliste indépendante, correspondante notamment du Monde et de Justiceinfo.net, elle livre aujourd’hui Le joker des puissants (éd. Don Quichotte), un livre réquisitoire contre le bureau du procureur de la CPI.
Abondamment sourcé, le livre se lit comme un polar de la justice internationale. Et le lecteur se trouve parfois confondu par les maladresses (la dernière en date remontant à ces derniers jours, lorsque l’identité de quatre témoins protégés a été révélée par la Cour), la légèreté et les erreurs de la CPI et singulièrement de son premier procureur, Luis Moreno Ocampo, mais aussi de son successeur, le procureur Fatou Bensouda.
Stéphanie Maupas rappelle les accusations publiques d’Ocampo sur la supposée distribution de Viagra aux soldats de Kadhafi, l’équivalent « d’une machette », « une arme pour les viols de masse », lançait-il aux médias. De cette accusation, il n’en n’est rien resté, envolées aussi les promesses d’enquêter sur les exactions des rebelles… Au fiasco libyen s’est ajoutée le fiasco des poursuites engagées contre le président Kenyatta, puis le fiasco des procès en RDC. Ainsi, dans l’affaire Lubanga, Stéphanie Maupas rappelle comment les avocats de la défense ont mis à jour une vaste entreprise de corruption des témoins, fabriquant les récits de soi-disants « enfants-soldats » avant que ceux-ci avouent avoir reçu de l’argent en échange de la comédie qu’ils ont jouée devant la Cour. Stéphanie Maupas montre aussi comment en RDC, le bureau du procureur a préféré s’attaquer à des chefs de milice, sans remonter jusqu’aux véritables commanditaires…
De la Libye au Soudan, du Kenya à l’Ouganda, et dans les autres pays où la CPI est intervenue, l’auteure dénonce les limites de cette Cour, pourtant porteuse de tant d’ambition de justice. La thèse de Stéphanie Maupas est contenue toute entière dans son titre : la Cour est un instrument aux mains des puissants, - gouvernements africains et puissances internationales - un joker qu’ils utilisent selon leur bon vouloir. Le Joker des puissants rappelle que les institutions ne valent que par l’engagement des hommes et des femmes qui les portent et qu’en tout état de cause, devant l’immensité des défis, la justice internationale a encore un très long chemin à parcourir.L’auteure aurait pu faire preuve de davantage de mansuétude envers la Cour. Elle aurait pu montrer que la lutte contre l’impunité en l’espace d’une vingtaine d’années est devenue une norme, - ce qui était jadis impensable -, même si cette norme reste insuffisamment et trop souvent mal appliquée. Que la seule existence de la CPI a incité certains Etats à ouvrir des procédures par crainte que la Cour intervienne sur leur territoire. Qu’elle a encore généré un horizon d’attente, une capacité de mobilisation des sociétés civiles pour exiger davantage de justice et de transparence de leurs autorités. Ce n’est pas rien. Mais Stéphanie Maupas a préféré porter son attention sur les réelles faiblesses de la CPI. Espérons que la Cour, au nom des idéaux qu’elle incarne et de l’espérance de millions de personnes qu’elle porte, saura y remédier.
Stéphanie Maupas, le Joker des puissants, éditions Don Quichotte 24 €