Le processus de justice transitionnelle Togo n'a pas permis d'en savoir plus sur les auteurs et commanditaires des violences ayant jalonné l'histoire du pays depuis la lutte pour l'indépendance. Les Togolais attendent toujours la manifestation de la vérité dans ce pays dominé toute son histoire post-coloniale par une dynastie familiale, les Gnassingbé. Et la réconciliation nationale n'est toujours qu'un vœu pieux.
Après le massacre d'au moins 500 personnes lors de violences électorales en 2005, les Nations Unies recommandent au Togo de lancer un processus de justice transitionnelle.
Dans ce que de nombreux Togolais ont qualifié de monarchie républicaine, l'actuel chef de l'Etat vient alors de s'emparer du fauteuil présidentiel laissé vacant par le décès de son père Gnassingbé Eyadema qui dirigeait le pays d'une main de fer depuis 1967.
Dans le rapport publié en août 2005 après une enquête sur les violences et le contexte politique ayant prévalu dans le pays lors de la prise du pouvoir par Gnassingbé-Fils, les Nations unies épinglent le désastreux bilan de Gnassingbé-Père dans le domaine des droits de l'homme et libertés publiques. «Le Général Gnassingbé Eyadema a dirigé le Togo pendant 38 ans, avec fermeté et dans le non-respect de la bonne gouvernance, des droits de l'Homme et des pratiques démocratiques.
Selon de nombreux observateurs nationaux et internationaux, son règne est marqué par une gestion ethnique et clanique du pouvoir et le recours systématique à la violence politique contre toute forme ou velléité d'opposition. Ce climat a généré des contestations politiques et sociales permanentes et une détérioration continue de la situation des droits de l'Homme dans le pays », souligne ce rapport des Nations Unies, recommandant ainsi la mise en place d'un processus de justice transitionnelle.
Cette recommandation onusienne sera appuyée dans un « Accord politique global » (APG) signé en août 2006 par les importantes franges rivales de la classe politique togolaise, pour apaiser la vie politique de ce pays d'Afrique de l'Ouest.
Le nouveau président Faure Gnassingbé répond favorablement au principe de la création d'une Commission Vérité-Justice-Réconciliation (CVJR) dont il élargit cependant le mandat. La Commission devra remonter jusqu'à 1958, soit deux ans avant l'indépendance de la France en 1960. Le mandat intègre ainsi non seulement les sept premières années d'indépendance mais aussi les deux années pré-électorales marquées par les luttes pour l'indépendance et les conflits entre les nationalistes (qui ont obtenu l'indépendance) et les progressistes alors jugés trop proches du colonisateur.
Souci d'exhaustivité de la part du nouveau président ou façon d'éviter que sa famille qui dirige le pays depuis 1967 ne soit la seule à être mise en cause ? Beaucoup d'analystes togolais et étrangers y ont en tout cas vu une stratégie de diversion pour noyer la vérité.
Un prélat à la tête de la Commission
Il faudra attendre trois ans, en 2009, pour que la Commission Vérité, Justice et Réconciliation soit effectivement installée. Constituée d'universitaires, de responsables religieux, d'hommes politiques et d'acteurs de la société civile, la CVJR se met à l'œuvre. « Il s'agissait d'effectuer un travail de diagnostic sur les causes de nos divisions pour proposer des mesures susceptibles de les éradiquer; il s'agissait aussi d'identifier les victimes afin d'élaborer en leur faveur un programme de réparations », relate le président de la Commission, Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan. « Il était question également de rechercher les auteurs présumés de ces violences pour formuler à leur sujet des recommandations au gouvernement. Il nous était demandé enfin de proposer des réformes à effectuer afin de mettre fin à l'impunité et éviter la répétition de ces violations », ajoute cet évêque d'Atakpamé, ville située à 160 kilomètres au Nord de la capitale Lomé et l'une des plus touchées par les violences en 2005. En trois ans de travaux, la CVJR tiendra des audiences foraines dans toutes les régions du pays et à l'étranger, dans la diaspora, avant de remettre le premier volume de son rapport au président Fauré Gnassingbé, le 3 avril 2012, en présence de membres du gouvernement et de représentants du corps diplomatique en poste à Lomé.
« Dans cette même salle, le 29 mai 2009, il y a donc deux ans et dix mois, nous recevions des mains du Chef de l'Etat la lourde mission, de proposer, à travers les mécanismes de la justice transitionnelle, des voies et moyens susceptibles de favoriser la cohésion nationale, en faisant la lumière sur les causes des violences et conflits récurrents qui ont caractérisé notre histoire nationale de 1958 à 2005 », entame Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan. Mais dans son discours, le prélat refuse de passer à côté des limites du travail de la Commission, allant même jusqu'à reconnaître des échecs. « A l'heure du bilan, je dois reconnaître que la participation marginale des auteurs présumés reste l'une des faiblesses les plus regrettables de notre mission ; et à ce sujet, je partage la déception de nombreux Togolais qui auraient voulu entendre des mots de contrition de la part de ceux qui ont cédé à leurs passions ainsi que l'assurance du pardon sur les lèvres de ceux qui ont souffert dans leur âme et dans leur chair », déclare l'homme d'église. La CVJR n'aura donc pas permis aux Togolais d'en savoir plus aujourd'hui qu'hier sur les auteurs et commanditaires des crimes répertoriés.
Les Togolais attendent des actes forts du président Eyadema
Selon Bernard Bokodjin, membre de la Plateforme citoyenne Justice et Vérité, le premier volume remis solennellement au président togolais le 3 avril 2012 « est le résumé des autres et contient les recommandations ». « Les trois autres volumes remis au Chef de l'Etat en mai 2013 par Mgr Barrigah-Benissan ne sont pas encore publiés ; ce qui ne facilite pas le droit à la vérité qui est le premier pilier de la justice transitionnelle», déplore cet activiste dont la plateforme souhaite « accompagner le processus de justice transitionnelle au Togo ».
« Si on comprend que le volume 3 qui comprend les noms des victimes et les estimations financières du programme de réparation ne peut pas tomber dans le domaine public, il n'y a aucune raison de ne pas publier les volumes 2 et 4 », estime M. Bokodjin. Il rejoint les
rapporteurs des Nations Unies qui avertissaient déjà en 2005 que « le triptyque Vérité-Justice-Réconciliation devrait constituer le fondement central de tout programme durable de règlement en profondeur de la crise togolaise ».
« La vérité est l'acte fondateur initial de la réconciliation d'un peuple profondément traumatisé et divisé par une longue dictature ainsi que par l'ampleur et la gravité de la violence politique de l'Etat. Le principe de vérité doit se traduire par la mise en lumière complète et objective des actes de violations des droits de l'Homme, de la nature et des circonstances de ces actes, des listes des victimes, des disparitions, de l'évaluation des biens et des propriétés détruits et de la détermination des responsabilités », affirmaient les rapporteurs de l'ONU.
Après la clôture des travaux de la CVJR et suivant les recommandations de cette dernière, les autorités togolaises ont créé le Haut-Commissariat pour la Réconciliation et le Renforcement de l'Unité Nationale (HCRRUN). « Il est aujourd'hui l'institution qui devrait permettre au gouvernement de combler le trou de confiance avec les citoyens. Mais pour que cela marche, le chef d'Etat doit poser des actes forts », observe Bernard Bokodjin.
Le fils de Gnassingbé Eyadema sera-t-il capable du recul nécessaire pour de tels actes?