Hashim Thaçi, récemment élu président du Kosovo, assure soutenir pleinement un nouveau tribunal spécial chargé des crimes de guerre commis par la guérilla kosovare dont il a été un des commandants durant le conflit 1998-99, même s'il risque de se retrouver sur la liste des inculpés.
Elu en février par la Parlement kosovar, M. Thaçi, 47 ans, est un ancien commandant de la guérilla albanaise kosovare (UCK) reconverti dans la politique qui a mené en tant que Premier ministre son pays à l'indépendance en 2008.
Mais, alors qu'il s'apprête à prendre en avril ses fonctions de président, les spéculations sur son éventuelle obligation de se présenter devant le tribunal, qui doit ouvrir ses portes cette année à La Haye, s'accumulent.
Ce tribunal de droit kosovar composé de juges internationaux examinera "les accusations de crimes graves présumés commis en 1999-2000 par les membres de l'Armée de libération du Kosovo contre des minorités ethniques et des opposants politiques".
Pristina subissait des pressions internationales pour créer une telle cour depuis la publication en 2011 d'un rapport du Conseil de l'Europe sur les exactions présumées commises par des membres de l'UCK sur quelque 500 prisonniers serbes et roms pendant et après la guerre au Kosovo (1998-99).
Le "rapport Marty", d'après le nom du parlementaire suisse Dick Marty, son auteur, évoquait notamment des exécutions sommaires, des enlèvements et un trafic d'organes prélevés sur des victimes et mettait en cause M. Thaçi.
L'intéressé a vivement démenti ces accusations dans une interview à l'AFP, affirmant n'avoir "en aucun cas violé le droit international".
"La lutte du Kosovo et de l'UCK était un combat juste et propre. Personne ne peut réécrire l'histoire", a-t-il déclaré, assurant que Pristina allait pleinement coopérer avec le tribunal.
"Nous n'avons rien à cacher, nous répondront à toutes les demandes car nous soutenons pleinement l'idée que la justice soit faite", a-t-insisté.
- Une élection qui complique les choses -
Conduite par le procureur américain Clint Williamson, l'enquête a débouché sur "des preuves convaincantes" dont le résultat devrait être l'inculpation de plusieurs hauts responsables de l'UCK.
"Tenant compte de cela, M. Thaçi devrait se retrouver parmi les inculpés avant la fin de l'année", a déclaré à l'AFP un diplomate occidental sous le couvert de l'anonymat.
"Toutefois, la solidité du dossier du parquet dépendra de ceux qui seront disposés à témoigner contre cette figure de proue de la scène politique kosovare", a noté le diplomate.
L'élection de M. Thaçi au poste de président va "compliquer les choses", mais le nouveau président kosovar "aura certainement à coeur de laver son honneur et celui de l'UCK", a-t-il ajouté.
David Schwendiman, qui a succédé à M. Williamson, affirme de son côté qu'aucune personne ayant violé le droit international humanitaire ne serait "amnistiée".
- 'Manoeuvre politique' -
Toutefois, au cours de précédents procès de membres de l'UCK, des témoins sont morts dans des circonstances suspectes, ou ont disparu, des intimidations ont eu lieu, soit autant de raisons pour les analystes de s'inquiéter de la future efficacité de cette instance qui se met en place 17 ans après la fin du conflit.
"L'idée d'un tribunal basé à l'étranger est plutôt une manoeuvre politique de l'Union européenne, une tentative de sauver la face après les résultats mitigés d'Eulex", a déclaré l'analyste kosovar Krenar Gashi.
La mission de police et de justice européenne (Eulex) avait été mise en place au Kosovo en 2008 avec pour mandat de se charger des dossiers jugés trop sensibles pour la justice locale.
M. Gashi craint également que ce nouveau tribunal ne réveille "trop d'espoirs" parmi les Serbes.
Sa mise en place est, par ailleurs, vivement contestée par les adversaires politiques de M. Thaçi, dont certains ex-commandants de l'UCK, qui qualifient le tribunal d'anticonstitutionnel et le perçoivent comme un affront à la lutte qu'a livrée la guérilla.
Inculper un président "représenterait un grand risque pour notre Etat", qui bataille encore pour sa pleine reconnaissance, a estimé l'analyste kosovar Bekim Kupina.
Belgrade, soutenu par la Russie, refuse en effet catégoriquement de reconnaitre l'indépendance de son ex-province méridionale, à la différence de plus de cent Etat, dont les Etats-Unis.