Il aura peut-être fallu plus de deux décennies mais il n'est "jamais trop tard" pour que justice soit rendue, assure le procureur du TPIY à l'approche du prononcé du jugement contre l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic.
Plus de 20 ans après le long siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica, Radovan Karadzic entendra le 24 mars si les juges du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie l'ont jugé coupable de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
"Il y a eu des procès très importants dans ce tribunal, des jugements très importants aussi mais celui contre Karadzic sera certainement l'un des plus important de l'histoire du TPIY", affirme à l'AFP son procureur depuis 2008, le Belge Serge Brammertz.
Après la mort en 2006 dans sa cellule de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic, Radovan Karadzic sera l'officiel le plus haut placé à être jugé pour les atrocités commises au cours de la guerre de Bosnie, entre 1992 et 1995.
Ce jugement contre M. Karadzic, 70 ans, est donc "très important en terme de responsabilité des chefs politiques pour la souffrance de leurs propres peuples", ajoute M. Brammertz lors d'un entretien dans son bureau de La Haye.
- Fugitif -
Quand le téléphone sonne un soir de juillet 2008, Serge Brammertz n'est procureur du TPIY que depuis quelques mois. Une voix lui annonce qu'après 13 ans de fuite, Radovan Karadzic est sur le point d'être arrêté à Belgrade.
Depuis la mise en place du tribunal en 1993, tout le monde était devenu "très pessimiste" sur les chances d'un jour arrêter les derniers fugitifs, dont Radovan Karadzic et le chef militaire des Serbes de Bosnie, Ratko Mladic.
Une date avait même été choisie pour la fin du mandat du tribunal, en 2010.
Mais à chaque rencontre avec les groupes de victimes, l'arrestation de MM. Karadzic et Mladic était "la demande numéro 1".
Quand la confirmation de son arrestation arrive, Serge Brammertz réalise le poids de ce moment et "de ce qu'il représente pour les milliers de victimes".
"Il y a une expression qui dit que + une justice en retard est une justice refusée+ mais je pense que dans ce cas-ci, il n'est jamais trop tard", assure le procureur.
Le massacre de Srebrenica, pour lequel Radovan Karadzic est accusé de génocide, était "le crime le plus important commis sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale", selon M. Brammertz.
Les Serbes de Bosnie avaient tué, en juillet 1995, près de 8.000 hommes et garçons musulmans dans cette enclave protégée par l'ONU. Ils avaient également mené le siège de la capitale, Sarajevo, pendant 44 mois. Plus de 10.000 personnes, dont 1.500 enfants, y sont décédés.
Le procès contre Radovan Karadzic avait débuté en octobre 2009 et les plaidoiries finales avaient été prononcées en octobre 2014.
- Hanté par les disparus -
Le procureur réfute les critiques, qui accusent le tribunal de réveiller les souvenirs douloureux du passé.
"Je suis absolument convaincu que pour donner une chance à la réconciliation, la justice est essentielle", ajoute-t-il.
Le fait que les corps de nombreuses victimes n'aient toujours pas été retrouvés est "douloureux", assure celui qui se dit déçu du retour des discours divisant les communautés dans la région.
Il reconnait néanmoins les limites de son mandat, et que certaines atrocités soient passées à travers les mailles du filet.
"La justice a été rendue, c'est certain. Mais pour toutes les victimes? Malheureusement, non, car nous avons dû sélectionner les affaires", assure-t-il. Le manque de moyen et de temps ont forcé son bureau à choisir entre "des affaires graves et des affaires encore plus graves".
Le tribunal, qui a poursuivi 161 personnes, ne pouvait engager des procédures contre "chaque viol, massacre ou crime". "C'est l'une de nos plus grandes frustrations", assure le procureur.
Alors qu'il se prépare à entendre la décision des juges, Serge Brammertz insiste : "sans le tribunal, sans justice, la situation aujourd'hui serait vraiment pire".