Côte d'Ivoire‬ : l'ombre de ‪Gbagbo‬ sur la présidentielle

Côte d'Ivoire‬ : l'ombre de ‪Gbagbo‬ sur la présidentielle©AFP PHOTO/ ISSOUF SANOGO
Campagne de la Commission électorale sur un taxi à Abidjan
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« Laurent Gbagbo et les prisonniers politiques seront libres ». Voilà l’engagement des candidats de l’opposition à la présidentielle ivoirienne. Une promesse qu’ils martèlent tous quotidiennement depuis le lancement de la campagne officielle il y a deux semaines. Cinq ans après l’élection sanglante de 2010, le pays reste profondément divisé entre pro-Ouattara et pro-Gbagbo. Ce dernier, incarcéré à la Haye depuis novembre 2011, s’est abstenu de donner une consigne de vote et récuse toutes récupérations politiques. Face à un président sortant donné archi vainqueur, il laisse la moitié du pays dans le doute et enclin à l’abstention. Pour récupérer ces électeurs, les candidats d’opposition promettent, à tort, le retour du leader.

 « Si je suis élu Président de la République de Côte d’Ivoire, au soir du 25 octobre (date du premier tour), l’une des premières actions que je vais mener est d’œuvrer à la libération du président Laurent Gbagbo. Sa détention est une véritable honte pour le pays» a garanti Gnangbo Kacou. Le candidat indépendant s’est exprimé avec poigne à la chefferie Bété (éthnie de Laurent Gbagbo) de Yopougon, plus grande commune de Côte d’Ivoire située à Abidjan. « Dès que je suis élu, le lendemain je saute dans un avion pour libérer Gbagbo » surenchérit le papable Kouadio Konan Bertin dit KKB. Même discours pour Pascal Affi N’Guessan, en lice pour le Front Populaire Ivoirien (parti de l’ancien Président), pour qui, libérer Gbagbo est « le seul enjeu du scrutin ». Le candidat Affi, dont la formation est éclatée, se rattache à l’aura de son mentor pour féderer. "Chef de l'Etat de Côte d'Ivoire, j'aurai les moyens politiques, les moyens diplomatiques, les moyens institutionnels pour faire en sorte que le président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé soient libérés", promet l’ex-premier ministre du résident de La Haye. Pourtant l’absence de soutien du fondateur du parti désavoue cruellement Affi N’Guessan.

 

Un procès, point final

« Les résultats des prochaines élections en Côte d’Ivoire n’auront aucun impact sur la détention de Laurent Gbagbo à La Haye», coupe d’entrée le Professeur Kevin Jon Heller. Selon l’expert en droit pénal international à l’Ecole des études orientales et africaines, « la Cour est une structure judiciaire indépendante, donc le procès contre Gbagbo continuera même si le FPI gagne les élections. A ce stade, le seul moyen qu’il soit libéré de la CPI, c’est qu’il soit acquitté à la fin du procès». Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé doit suivre les procédures juridiques telles qu’énoncées dans le Statut de Rome et le Règlement de procédure et de preuve. Les équipes de la défense et de la procureure présentent leurs dossiers aux juges selon ce règlement qui intègre les intérêts des victimes et de la justice, mais pas du pays en tant que tel et ce même si la dynamique populaire exige sa libération. Les avocats de Gbagbo ont réclamé sa liberté provisoire à maintes reprises, sans succès. Selon le coordinateur de la CPI chargé de sensibilisation en Côte d’Ivoire, seuls les juges peuvent décider d’autoriser la liberté provisoire d’un détenu, mais ne prennent pas en compte les considérations politiques. Suivant les deux règlementations susmentionnés, les juges évaluent périodiquement la nécessité de maintenir en prison un détenu, selon les changements de circonstances, le besoin de garantir la comparution de l’accusé face aux juges, et le risque que le détenu pourrait obstruer ou compromettre les enquêtes. Le mois dernier, les juges ont rejeté pour la neuvième fois la demande de liberté provisoire de l’ex-chef d’Etat ivoirien.

 

La CPI à Abidjan ?

 Une réconciliation nationale sans la libération de l’ancien Président ? Impossible. Voilà un des arguments phare des candidats d’opposition. Les avocats de Gbagbo à la Cour Pénale Internationale proposent une autre solution, vaguement plus réaliste qu’une libération « spontanée » de Gbagbo et Blé Goudé, ex- chef des milices pro-Gbagbo emprisonné lui-aussi à la Haye: faire venir la CPI dans la capitale économique ivoirienne. Emmanuel Altit, avocat de l’ancien Président, demande que le procès ait lieu soit à Abidjan, soit à Arusha où se situe le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Néanmoins la procureure et le gouvernement ivoirien s’y opposent, citant des risques sécuritaires et des défis logistiques trop importants. Vu la tension ambiante le procès pourrait mettre le feu aux poudres. Les victimes, les témoins, les juges et les avocats des deux cotés seraient trop exposés. A souligner que tenir des audiences de la CPI dans la pays concerné serait une première pour la Cour. Les juges n’ont pas encore pris de décision finale mais, au regard des jugements précédents, il est fort probable qu’ils décident de poursuivre le procès à La Haye, aux Pays-Bas.

 


 

le mot de Gbagbo

 A sa première comparution devant les juges, en décembre 2011, Gbagbo déclarait que son avenir ne dépendait plus de l’avis du peuple ivoirien et se montrait résigné: «Je ne regrette pas d’être là. Je suis là, on va maintenant aller jusqu’au bout».  

 Pour l’ancien président, son incarcération à La Haye en novembre 2011 était le résultat direct d’avoir trop fait « bouger les choses » face au « complot français » contre lui. A en croire son témoignage depuis sa cellule de Scheveningen, Gbagbo conçoit le procès comme une opportunité de défendre sa version des faits. « Grâce à la procédure devant la CPI, la vérité qu’on a voulu cacher, émerge. Mon équipe de Défense a montré combien les accusations à mon encontre répondaient à une logique politique ».