Vingt ans après la fin du siège de Sarajevo, qui a duré 44 mois (1992-95) et au cours duquel près de 1.500 enfants ont été tués, leurs parents attendent dans l'angoisse le verdict que le TPIY va prononcer jeudi contre l'ancien dirigeant politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic
Le 9 novembre 1993, par une matinée plutôt calme, Fedja Salkic, 6 ans, attend impatiemment le début des cours devant une classe improvisée au rez-de-chaussée d'un immeuble.
"Il portait une combinaison de ski et des bottes toutes neuves que son père lui avait achetées la veille au marché", se souvient sa mère Sefika.
Subitement, un obus explose et tue trois élèves ainsi que l'institutrice, Fatima Gunic. Une vingtaine d'enfants sont blessés.
Adis, le fils aîné des Salkic, était à l'intérieur de l'école et en sort indemne, mais reste traumatisé d'avoir découvert le corps gisant de son frère, racontent ses parents à l'AFP.
Quelques jours avant la lecture du verdict de Radovan Karadzic, devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Edin et Sefika sont allés déposer des roses blanches sur la tombe de Fedja. Il repose aux côtés des centaines de victimes du siège de Sarajevo enterrées sur un ancien terrain de football à Kosevo, transformé à l'époque en cimetière.
"Nous espérons que les juges auront le courage de condamner à perpétuité le plus connu des criminels de guerre des Balkans", dit M. Salkic.
- 'enfer médiéval' -
Le siège de Sarajevo, qui a fait plus de 10.000 morts, est un des principaux chefs d'accusation contre Karadzic, dont les forces avaient bombardé sans relâche la capitale bosnienne et ses 350.000 habitants. Le siège a été qualifié d'"enfer médiéval" par les procureurs du TPIY.
"Le plus souvent les enfants étaient tués pendant les trêves, lorsqu'ils sortaient des abris par petits groupes, à l'école ou sur le chemin de l'école", dit Fikret Grabovica, président d'une association de parents d'enfants tués durant le siège.
"Beaucoup ont été tués par des tireurs embusqués, ce qui veut dire que c'était intentionné", martèle Fikret, qui se rendra à la Haye pour entendre le verdict.
Sa fille Irma, âgée de 11 ans, a été tuée devant leur immeuble, il y a 23 ans.
"Nos plaies saignent toujours, malgré le temps qui passe, j'espère qu'il obtiendra ce qu'il mérite et que le verdict nous apportera un peu de paix", dit-il.
Ana Dlouhi cherche elle aussi cette paix intérieure depuis 20 ans. Son fils Dario a été tué dans le dernier massacre commis pendant le siège.
Ce 28 août 1995, Dario, 14 ans, était allé avec son meilleur ami, Adnan Ibrahimagic, s'offrir un repas au marché de Markale, dans le centre-ville. Ils étaient à son entrée lorsque l'explosion d'un obus a tué 43 personnes.
Adnan est mort sur le coup, Dario succombera à ses blessures trois jours plus tard, le 31 août au soir, en dépit des efforts des médecins, raconte Mme Dlouhi, dont le mari, Josip, a été tué au combat au début du conflit.
"Dario venait d'être admis au lycée. Il aimait la vie, il était plein d'esprit et avait beaucoup d'amis, il jouait de la guitare. Je remercie Dieu pour toutes les belles choses que nous avons partagées, pour l'amour que nous avons eu au sein de la famille", raconte Mme Dlouhi.
Le massacre de Markale a poussé l'Otan à lancer le 30 août des frappes aériennes contre les positions des forces serbes, ouvrant la voie à la conclusion d'un accord de paix en novembre 1995.
"J'étais furieuse en voyant leurs avions. Je me demandais pourquoi pas deux jours plus tôt. Deux jours seulement avant pratiquement la fin de la guerre, j'ai perdu l'être le plus cher", dit, amère, Mme Dlouhi.