C'est "mission accomplie" pour le procureur du TPIY alors que ce tribunal mis en place en 1993, en plein coeur de la guerre qui déchira l'ancienne Yougoslavie approche de la fin de son mandat. Pourtant, les experts sont divisés sur son héritage.
Srebrenica, Vukovar ou Sarajevo : des noms de villes ancrés dans la mémoire collective de l'humanité résonnent depuis 23 ans dans les couloirs du TPIY, tout comme les témoignages des milliers de victimes venues raconter les horreurs qu'elles ont subies.
"Je pense que le tribunal a fait ce qu'il avait à faire, je peux dire mission accomplie", assure le procureur du tribunal, le Belge Serge Brammertz, dans un entretien avec l'AFP.
Installé par les Nations unies, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est chargé de juger les responsables de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis pendant ces guerres.
Pionnier dans l'établissement de la jurisprudence en droit pénal international, le TPIY peut se targuer d'un bilan sans faute sur le plan des accusés : chacune des 161 personnes recherchées ont été arrêtées et ont comparu devant leurs juges.
Le tribunal lui-même se vante d'avoir "radicalement transformé le paysage du droit international humanitaire et permis aux victimes d'être entendues, de témoigner des atrocités et de décrire leurs souffrances".
Neuf millions de pages
Bien que l'ancien président serbe Slobodan Milosevic soit mort dans sa cellule en 2006, avant la fin de son procès, 80 autres personnes ont été condamnées, dont la majorité à de longues peines.
Le travail du tribunal a été essentiel, selon Serge Brammertz, car les tribunaux nationaux n'auraient pas été capables de fournir le même travail, dans les secousses de l'après-guerre.
Il a également joué un rôle essentiel dans les enquêtes de terrain sur les atrocités, même au coeur du conflit, amassant plus de neuf millions de pages de documents, un héritage majeur pour les historiens.
Serge Brammertz évoque aussi le programme de sensibilisation mis en place dans les communautés locales comme dans les tribunaux, où des enquêtes sont toujours en cours contre des milliers d'individus.
"Les poursuites au niveau national ont réduit l'espace pour nier ce qui s'est passé", a assuré à l'AFP Stephen Rapp, ancien diplomate américain spécialiste des questions de crimes de guerre.
Les poursuites constituent "l'une des manières d'extirper le poison qui infecte l'ensemble du monde politique", a ajouté M. Rapp.
Mais la réputation du TPIY a, sans aucun doute, été ternie par une série d'acquittements de premier plan, au milieu de rumeurs de pressions de la part des Etats-Unis.
Et les experts redoutent que certaines des plus grandes ambitions du tribunal - restaurer et maintenir la paix, notamment - restent inaccomplies.
"Je ne pense pas que cela soit nécessairement la faute du tribunal", assure à l'AFP Rachel Kerr, spécialiste en crimes de guerre et maître de conférences au King's College de Londres.
"S'il y a une leçon qui peut être tirée, c'est que la justice pénale internationale n'est pas le meilleur outil pour encourager la paix et la réconciliation", a-t-elle ajouté.
C'est également l'opinion d'Eric Stover, qui était parmi les premiers enquêteurs sur le terrain et a contribué à la mise au jour d'un charnier dans la ville croate de Vukovar en 1992.
"Le tribunaux sont tournés vers le passé, ils examinent les faits et jugent des responsabilités pénales individuelles", a-t-il assuré : "ils n'ont pas été pensés en tant qu'institution d'ingénierie sociale".
Tribunal "détourné"
Le tribunal a, de plus, été "détourné" par les agendas politiques des nouveaux Etats des Balkans qui se bousculaient pour rejoindre l'Union européenne.
Le narratif qui avait été présenté à l'époque était que "les gens se sacrifiaient pour le bien de la Serbie en se rendant à la cour, +dont nous ne reconnaissons pas la juridiction+ car nous allons recevoir l'adhésion à l'UE", explique Rachel Kerr.
Mais l'héritage le plus important du TPIY sont peut-être les déclarations de ceux qui ont plaidé coupable.
"La responsabilité est mienne et mienne uniquement", avait ainsi assuré en 2002 l'ancienne présidente des Serbes de Bosnie Biljana Plavsic, avant d'être condamnée à 11 ans de prison.
"Savoir que je suis responsable de telles souffrances humaines et d'avoir ruiné le caractère de mon peuple me hantera toujours".