En prononçant son verdict le 21 mars contre l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, la CPI a rendu le premier jugement de l'histoire pour crimes internationaux commis en Centrafrique. Ce jugement pour des exactions orchestrées en 2002-2003 devrait, de l'avis de nombreux observateurs, encourager les autorités centrafricaines et tous les acteurs de la justice pénale, nationale et internationale, à accélérer les enquêtes sur les innombrables violations graves des droits de l'homme perpétrées, le plus souvent par des Centrafricains eux-mêmes, dans le cadre du conflit qui déchire le pays depuis 2012.
L'opposant et richissime homme d'affaires congolais a été reconnu coupable de viols, meurtres et pillages commis par ses anciens rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC), non pas sur le territoire de son pays, mais en Centrafrique. Fin 2002, il avait en effet déployé certaines de ses troupes dans ce pays voisin, en renfort au président centrafricain de l'époque, Ange-Félix Patassé qui était confronté à une rébellion conduite par François Bozizé. Après avoir pris le pouvoir à Bangui, ce dernier a géré cette ancienne colonie française comme une propriété familiale, une des raisons pour lesquelles il a lui-même était renversé en mars 2013. Depuis lors, la Centrafrique a connu la crise la plus aiguë de son histoire, avec des violations du droit international humanitaire d'une ampleur sans précédent dans le pays.
En mai 2014, vers la fin du procès Bemba, la présidente centrafricaine de transition Catherine Samba-Panza a saisi à nouveau la CPI, lui demandant d'enquêter et poursuivre les responsables des crimes alors perpétrés dans le pays. Fatou Bensouda, la Procureure de la Cour pénale internationale, a ainsi ouvert une deuxième enquête en RCA le 24 septembre 2014. « Mais aucun mandat d'arrêt n'a pour l'instant été émis », déplorent l'organisation américaine Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH). « Même si le jugement coupable à l'encontre de Bemba est important, il reste que le travail de la CPI est loin d'être terminé en République centrafricaine », écrit Géraldine Mattioli – Zeltner du Programme Justice Internationale de HRW, invitant Fatou Bensouda à « mettre en place une stratégie pour traiter » les affaires liées à la nouvelle crise centrafricaine. « Les pays membres de la CPI, qui insistent pour limiter le budget de la Cour, devraient plutôt s'assurer que la Cour dispose des ressources suffisantes pour faire son travail . Le verdict contre Bemba devrait encourager ces efforts ».
« Il reste beaucoup à faire »
A Genève, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme Zeid Ra'ad Al Hussein a salué, dans un communiqué, le jugement rendu par la CPI dans l'affaire Bemba, tout en estimant lui aussi qu'il « reste beaucoup à faire pour garantir que justice soit faite pour les nombreux autres terribles crimes commis en RCA depuis 2002, y compris les abus et violations à grande échelle perpétrés ces trois dernières années ».
Pour la FIDH, «les nouvelles autorités centrafricaines et la communauté internationale doivent continuer à soutenir les mécanismes de justice pour les crimes internationaux en RCA ».
Un processus électoral destiné à mettre fin à la période de transition qui dure depuis trois ans vient de se terminer en Centrafrique avec l'élection du nouveau président Faustin-Archange Touadéra, dont l'investiture est attendue à la fin de ce mois de mars.
Les organisations de défense des droits exhortent le prochain gouvernement à faciliter les nouvelles enquêtes ouvertes par la CPI et à mettre en place le plus rapidement possible la Cour pénale spéciale dont les textes fondateurs ont déjà été adoptés par les institutions de transition. « Il est d'une importance capitale d'établir la Cour pénale spéciale sans plus tarder et de continuer à soutenir la CPI dans sa deuxième enquête en cours sur les crimes commis depuis 2014 », demande Karim Lahidji, président de la FIDH, dans un communiqué publié par l'organisation à la suite du verdict dans l'affaire Bemba.
Un appel similaire avait été lancé le 16 mars par l'experte indépendante de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Centrafrique, Marie-Thérèse Keita-Bocoum, après un entretien avec le président élu. Selon le service de presse des Nations unies, l'experte a insisté notamment sur le renforcement « des efforts de lutte contre l'impunité, par l'opérationnalisation des juridictions à l'intérieur du pays et le renforcement de l'indépendance du pouvoir judiciaire ». « Tous les acteurs de la société civile que j'ai rencontrés ont déploré l'absence de la chaîne pénale, le manque d'accès à la justice et l'absence de mesures pour protéger les victimes et les témoins », a indiqué l'experte indépendante citée dans le communiqué.
L'ONU promet son appui
Dans un entretien publié le même jour par le Centre d'actualités de l'ONU et la Radio des Nations unies, le représentant spécial du secrétaire général pour la Centrafrique, Parfait Onanga-Anyanga, abonde dans le même sens, en estimant que la justice transitionnelle constitue « un immense chantier qui attend les nouvelles autorités ». Le diplomate gabonais promet l'appui de l'ONU et de la communauté internationale, notamment pour la mise en place effective de la Cour pénale spéciale. « Nous devons les aider en ce moment à identifier les magistrats internationaux qui feront partie du groupe de magistrats auquel participeront également des magistrats nationaux. Avec les Centrafricains, nous avons fait ce travail qui était un travail essentiel d'assistance à l'élaboration de cette loi qui a établi cette cour. Et maintenant il y a tout ce qu'il faut faire en termes de plaidoyer, pour rassembler les immenses ressources qui seront requises pour faire fonctionner cette institution importante. C'est une assistance multiforme sur le plan technique mais que nous faisons également en collaboration avec d'autres partenaires bilatéraux importants de la République centrafricaine », a ajouté le diplomate.
Le succès de ces efforts dépendra, dans une large mesure, de la volonté politique du président Touadéra et de son équipe.