Le gouvernement tchadien n’a toujours pas exécuté une décision de justice ordonnant réparation à plus de 7 000 victimes de crimes graves commis durant le régime de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, ont déclaré aujourd’hui trois coalitions de défense des droits humains.
Le 25 mars 2015, après trois mois de procès, la cour criminelle spéciale tchadienne a condamné 20 agents du régime de Hissène Habré pour meurtre, torture, enlèvement et détention arbitraire. La cour a également ordonné que le gouvernement tchadien et les personnes condamnées versent chacun la moitié de 75 milliards de francs CFA (environ 114 millions d’euros) en réparation aux victimes.
« Cela fait un an et le gouvernement tchadien n’a toujours pas daigné mettre à exécution la décision », a déclaré Jacqueline Moudeina, principale avocate des victimes et présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH). « C’est une insulte faite aux victimes et un affront à l’État de droit. »
Hissène Habré lui-même est jugé pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture depuis juillet 2015 par un tribunal spécial créé au sein du système judiciaire sénégalais, à Dakar. Un verdict devrait être rendu le 30 mai prochain.
La cour criminelle de N’Djaména avait ordonné au premier ministre tchadien de mettre en place une commission chargée de l’exécution du paiement des dommages et intérêts aux victimes. Cette commission n’a toujours pas été constituée.
La Cour avait également ordonné au gouvernement d’ériger un monument à la mémoire des victimes du régime Habré « dans un délai n’excédant pas un an », et de créer un musée dans l’ancien siège de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), la police politique de Habré. À ce jour, aucune de ces décisions n’a été respectée. Le Parquet général non plus n’a toujours pas accompli ses tâches pour la mise en œuvre de la décision, notamment le répertoriage et la confiscation des biens des condamnés.
« Le gouvernement doit maintenant exécuter cette décision pour que les victimes obtiennent enfin réparation pour leurs souffrances, et que des mesures soient prises pour que nous ne tombions pas dans l’oubli », a déclaré Clément Abaifouta, président de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui, en tant que prisonnier sous le régime de Habré, a été forcé de creuser des charniers et d’enterrer de nombreux codétenus. « Nous nous sommes battus pendant 25 ans pour cette décision, et maintenant le gouvernement nous oblige à nous battre pour obtenir son exécution. »
Le régime à parti unique de Hissène Habré (1982-1990) a été marqué par des atrocités massives et généralisées, dont des répressions ethniques ciblées. Les documents de la DDS retrouvés par Human Rights Watch en 2001 ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains.
Habré a été renversé en 1990 par l’actuel président Idriss Déby Itno et s’est réfugié au Sénégal où ses victimes se sont battues pendant des décennies pour tenter de le faire traduire en justice, jusqu’à ce qu’en 2013 le Sénégal et l’Union Africaine signent un accord pour la création des Chambres Africaines Extraordinaires pour la tenue du procès au sein des juridictions sénégalaises. Le procès a débuté le 20 juillet 2015 et s’est achevé le 11 février 2016. Un verdict est attendu le 30 mai 2016.
Les accusations qui ont mené au procès tchadien des agents de Hissène Habré ont été déposées par des survivants en 2000, mais l’affaire a stagné jusqu’à ce qu’Habré lui-même soit arrêté à Dakar en 2013. Parmi les accusés, nombreux étaient ceux qui occupaient des positions clés dans l'administration tchadienne jusqu’à leur arrestation, en 2013 ou 2014.
Au cours de ce procès historique tenu au Tchad, environ 50 victimes ont décrit les tortures et les mauvais traitements subis entre les mains des agents de la DDS. Parmi les personnes condamnées à perpétuité dans l’affaire de 2015 au Tchad figuraient Saleh Younous, ancien directeur de la DDS, et Mahamat Djibrine dit « El-Djonto » qui était, selon la Commission nationale tchadienne d’enquête de 1992, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad.
« Le procès et la condamnation d’agents de l’État pour des violations des droits de l’homme était une avancée remarquable dans un pays où l’impunité est la norme », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch qui travaille auprès des victimes depuis 1999 et qui a assisté au procès. « Le refus du gouvernement à respecter ses obligations envers les victimes est une profonde déception. »
Article publié par Human Rights Watch