Belgrade et son allié russe Moscou ont dénoncé vendredi l'application d'une "justice sélective", "politiquement motivée" de la part du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) au lendemain de la condamnation de l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic.
Jeudi à La Haye, le TPIY a condamné Radovan Karadzic, âgé de 70 ans, à 40 ans de prison pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre pendant la guerre de Bosnie (1992-95).
Comme les familles des victimes, qui considèrent la peine prononcée "inadéquate", Belgrade et Moscou ne se satisfont pas du verdict. Mais à leur opposé, les gouvernements serbe et russe estiment que le TPIY a fait preuve d'une partialité défavorable aux Serbes.
"Toute justice qui débouche sur la condamnation d'un seul peuple pour des crimes qui ont été commis par tous est sélective", a déclaré le ministre serbe de la Justice Nikola Selakovic en lisant un communiqué du gouvernement.
"Nous disons depuis longtemps que les activités du TPIY sont politiquement motivées", a, de son côté, déclaré un vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, à l'agence de presse Interfax.
Cette décision du TPIY est "le dernier en date d'une série de verdicts extrêmement sévères contre les Serbes", a renchéri dans un communiqué son ministère.
"Il est impossible de ne pas remarquer la date étrange choisie pour annoncer le verdict", ajoute la diplomatie russe, en référence au 24 mars 1999, date du début des bombardements de l'Otan contre la Serbie, "un autre crime pour lequel le TPIY a refusé d'ouvrir une enquête".
Belgrade et Moscou estiment que le TPIY s'est appliqué à condamner les Serbes mais n'a pas rendu justice pour des crimes contre des Serbes commis par les autres participants aux conflits qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie dans les années 1990.
Les acquittements successifs d'un général croate et d'un ex-Premier ministre kosovar, en l'espace de deux semaines en 2012, avaient valu au TPIY une vague de critiques sans précédent, notamment à Moscou, qui avait qualifié de "douteuse" la décision d'acquitter le général croate Ante Gotovina.
"Malheureusement, toutes les affaires qui ont été examinées (par le TPIY, ndlr) ne concernaient qu'une partie (du conflit en ex-Yougoslavie). Les crimes commis par les chefs et les militaires kosovars n'ont pas été examinés", a déploré M. Gatilov dont le pays, tout comme la Serbie, ne reconnaît pas l'indépendance du Kosovo, proclamée en 2008.
- "Un goût amer" -
Belgrade "ne souhaite réagir à aucun verdict en particulier" mais ressent "un goût amer" après les "nombreuses années de travail" du TPIY, a constaté M. Selakovic.
"Notre peuple a su reconnaître les victimes des autres (peuples) et leur rendre hommage d'une manière digne, mais personne d'autre dans la région n'a été en mesure de faire de la sorte lorsqu'il est question des victimes serbes", a ajouté M. Selakovic.
Le Premier ministre Aleksandar Vucic avait mis en garde la veille "tous ceux" qui seraient tentés de remettre en question l'existence de la République serbe de Bosnie après l'annonce du verdict. Il a réaffirmé cette position vendredi à l'issue d'une rencontre avec le patriarche de l'église orthodoxe serbe (SPC), Mgr Irinej.
En vertu des accords de paix de Dayton (Etats Unis) qui ont mis fin au conflit, la Bosnie a été divisée en deux entités, l'une serbe, l'autre croato-musulmane, semi-indépendantes, reliées par de faibles institutions centrales.
"Les décisions du tribunal de la Haye ne contribuent pas à l'apaisement de la situation en Bosnie, mais à leur radicalisation", a déclaré vendredi Mladen Ivanic, membre serbe de la présidence collégiale de Bosnie, qui en compte trois au total (un Serbe, un Croate, un Musulman).
Une position qui diverge clairement de celle de son coprésident musulman, Bakir Izetbegovic, qui a estimé jeudi que la condamnation de Radovan Karadzic était "le plus important verdict depuis Nuremberg".