Le Kenya a remporté son bras de fer contre la Cour pénale internationale (CPI). Les juges ont décidé d’abandonner les charges portées contre William Ruto et Joshua Sang. Le vice-président du Kenya et l’animateur radio de la vallée du Rift ne répondent donc plus de crimes contre l’humanité commis lors des violences qui avaient enflammé le Kenya suite à la présidentielle de décembre 2007. Des six suspects ciblés par la Cour en mars 2011, aucun n’aura été condamné.
Libérées de toutes accusations, William Ruto et son co-accusé, Joshua Sang, ne sont pas pour autant acquittés. Les juges ont décidé de retirer les charges de crimes contre l’humanité portées contre eux parce que l’accusation n’a pas apporté la preuve de leur responsabilité dans les violences post-électorales de 2007 et 2008 au Kenya. Selon la thèse du procureur, William Ruto avait établi « un réseau », composé d’hommes d’affaires, de responsables tribaux, de jeunes miliciens et de journalistes, pour planifier et organiser les violences. Mais le procureur n’a pas convaincu les juges. Les deux hommes ne sont pas pour autant blanchis, notamment parce que le procès ouvert en septembre 2013 a été entaché de nombreuses interférences. La procureure, Fatou Bensouda, avait dénoncé l’existence d’un vaste réseau de corruption, et assuré que ses enquêtes ont été « méthodiquement sabotées » en « usant de menaces ou de pots-de-vin pour dissuader [les témoins] de témoigner ou les inciter à se rétracter ». Trois kenyans sont poursuivis par l’accusation pour « atteinte à l’administration de la justice ». Si deux d’entre eux ont été arrêtés à Nairobi, ils n’ont pas été livrés à La Haye. Au Kenya, l’ouverture de l’enquête de la Cour en 2010 avait suscité de nombreux espoirs, beaucoup croyant que la justice internationale ne souffrirait pas d’interférences. Mais la Cour n’y sera pas parvenue malgré de couteuses mesures de protection, inefficaces dans cette affaire. Dans leur décision, les juges laissent la porte ouverte à de nouvelles poursuites contre le Kenyan, soit devant la CPI, si la procureure présente un nouveau dossier, soit devant la justice kenyane. Mais cette possibilité semble à ce jour bien théorique.
« Un cauchemar »
Réagissant sur son compte Facebook, le président Uhuru Kenyatta a évoqué un dossier qui depuis 2010 a été « cauchemar pour ma nation » . Six responsables kenyans ont été poursuivis par la Cour, mais toutes les affaires se sont soldées par des non-lieux. Dégagé de l’emprise de la Cour en décembre 2014, après que le procureur ait décidé de retirer les charges portées contre lui, le président Uhuru Kenyatta avait promis de ramener à la maison les deux derniers accusés du dossier Kenya.
Suite aux accusations du procureur du printemps 2011, le kikuyu Uhuru Kenyatta s’était allié à son opposant kalenjin William Ruto. Les deux hommes avaient emporté la présidentielle d’avril 2013, malgré l’affaire devant la CPI. Une fois élus, le chef d’Etat et son vice-président s’étaient engagés dans une féroce campagne diplomatique contre la Cour, parvenant sans difficultés à mobiliser plusieurs chefs d’Etats du continent, jusqu’à l’Union africaine, qui malgré les levées de boucliers occidentales parvenait à porter le débat jusqu’au Conseil de sécurité de l’Onu à l’automne 2014. L’acquittement prononcé aujourd’hui en faveur de William Ruto permettra-t-il à la Cour de retrouver des relations pacifiées avec l’Union africaine ? Commentant la décision, Uhuru Kenyatta a rappelé l’attachement du Kenya au droit international, ajoutant, « nous allons continuer à chercher des moyens d’améliorer l’efficacité de la justice internationale » et « promouvoir un ordre mondial juste et équitable ».
Pas de justice pour les violences de 2007-2008
La fronde des chefs d’Etat du continent contre la Cour a toujours été liée aux poursuites engagées par cette dernière contre ses dirigeants. Elle avait émergé suite au mandat d’arrêt émis en 2009 contre le président du Soudan, Omar el-Béchir, pour sa guerre au Darfour, et s’était renforcée lorsqu’Uhuru Kenyatta et William Ruto ont été élus à la tête du Kenya. Les menaces ont pris un tour plus sévère à chaque rebondissement dans ces trois affaires, qui se sont, au fil du temps, lentement effondrées. En décembre 2014, la procureure avait annoncé la suspension de son enquête contre Omar el-Béchir (néanmoins, le mandat d’arrêt court toujours), arguant notamment qu’elle n’avait obtenu aucune coopération de la communauté internationale dans son arrestation. Quelques jours plus tôt, l’accusation retirait les charges portées contre Uhuru Kenyatta. Plusieurs chefs d’Etats ont régulièrement brandi la menace d’un retrait du traité de la Cour, lui reprochant d’être le bras d’un néocolonialisme supposé. Mais aucun, du Kenya à l’Afrique du sud, en passant par l’Ouganda, n’a franchi le pas. « Etant donné que le gouvernement kenyan n'a pas réussi à engager des poursuites au Kenya, la fin de cette affaire laisse les victimes privées de la justice et l'aide dont elles ont besoin » a commenté Elizabeth Evenson, de Human Rights Watch. Les violences avaient fait 1100 morts, 350 blessés et poussé 350 000 kenyans à l’exode. Personne n’a été condamné pour ces crimes, ni devant la CPI, ni devant la justice kenyane.