Salué par le chef de l’Etat Uhuru Kenyatta comme la « fin d’un cauchemar », l’abandon par la Cour pénale internationale (CPI) des poursuites dont faisaient l’objet le vice-président William Ruto et son co-accusé, le journaliste Joshua Sang, a été fêté au Kenya comme une victoire nationale.
La Cour pénale internationale (CPI), cette institution décriée par les dirigeants africains comme un nouvel instrument du néo-colonialisme, a décidé le mardi 5 avril 2016 de mettre fin à l’affaire concernant le vice-président du Kenya William Ruto et son co-accusé, l’ancien journaliste Joshua Sang.
Bien que susceptible d’appel et n’excluant pas la possibilité de nouvelles poursuites devant la Cour internationale ou devant un tribunal kényan, cette décision marque une victoire dans le combat que les dirigeants africains, conduits par leur jeune homologue kényan Uhuru Kenyatta, livrent inlassablement contre la CPI.
Saisie par la défense à la fin de la présentation des moyens de preuve de l’accusation, la chambre a, à la majorité de deux juges contre un, prononcé un non-lieu en faveur des deux accusés. Elle n’a cependant pas entièrement donné raison aux deux équipes de défense qui avaient demandé un acquittement pur et simple, arguant de la faiblesse du dossier de la partie adverse.
William Ruto et Joshua Arap Sang, qui comparaissaient libres, étaient en procès depuis le 10 septembre 2013, accusés de crimes contre l'humanité (meurtre, déportation ou transfert forcé de population et persécution) commis dans le contexte des violences postélectorales au Kenya en 2007-2008.
Cette décision est le dernier camouflet en date pour la procureure Fatou Bensouda dans le dossier kényan.
Dès l’annonce de la nouvelle, le président Uhuru Kenyatta, en visite officielle en Europe, a salué « une décision (qui) met fin à ce qui a été un cauchemar pour ma nation ». Le chef de l’Etat kényan a cependant reconnu que « la victoire dans cette affaire n’est que partielle » et a accusé une fois de plus la Cour pénale internationale d’avoir choisi « aveuglément de poursuivre un agenda mal intentionné». Depuis l’étape française de sa visite, il a annoncé l’organisation d’une messe d’actions de grâce le 16 avril dans un stade de Nakuru, dans le centre du pays. “Chaque Kényan a été touché par la tragédie qui s’est abattue sur notre nation en 2007-2008. Aucun d’entre eux n’a oublié. Leur souffrance exigeait de nous, en tant que dirigeants, de rechercher la réconciliation », a souligné le président Kenyatta.
Plaintes d’interférences avec les témoins
Lors des élections générales de 2007, Uhuru Kenyatta, membre de la tribu kikuyu et fils de Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya, était l’un des principaux dirigeants de la mouvance du président de l’époque Mwai Kibaki. William Ruto, de la tribu kalenjin, soutenait pour sa part le candidat de l’opposition Raila Odinga. Mais au Kenya, les alliances politiques se font et se défont au gré des vagues. En 2013, Uhuru Kenyatta et William Ruto, tous deux alors mis en accusation pour crimes contre l’humanité lors des violences postélectorales de 2007-2008, font campagne la main dans la main. Malgré leur dossier devant la CPI, Uhuru Kenyatta est élu au premier tour en mars 2013. Fin 2014, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda jette l’éponge après avoir dénoncé à plusieurs reprises des interférences avec ses témoins dont les principaux se sont rétractés. Elle poursuit la présentation de ses moyens de preuve contre Ruto et Sang, mais avec les mêmes sempiternelles plaintes d’intimidations des témoins à charge. Jusqu’à ce que tombe le nouveau camouflet le mardi 5 avril dans l’après-midi.
Dans la région d’Eldoret, chez le vice-président Ruto, c’était la fête toute soirée au rythme de la musique et de la danse traditionnelles kalenjin. Selon le quotidien kényan Nation le gouverneur d’Uasin Gishu, Jackson Mandago, à la tête d’une foule en liesse, a suggéré au président Uhuru kenyatta d’écourter sa visite en Europe pour se joindre au vice-président dans ces réjouissances. Le responsable administratif n’a pas manqué au passage de vilipender « ceux qui ont colporté des mensonges contre le vice-président », leur conseillant de « s’excuser car c’est la seule voie pour le pays d’aller de l’avant et de guérir les cicatrices de la violence post-électorale » de 2007-2008.
L’évêque catholique d’Eldoret, Cornelius Korir, a pour sa part salué un nouveau chapitre du processus de réconciliation dans cette région qui fut l’épicentre des violences en 2007-2008 et a exhorté les fidèles à « continuer à vivre dans la coexistence pacifique ».
Le vieux chef de l’opposition, Raila Odinga, a lui aussi partagé la joie du vice-président Ruto. « Notre position a toujours été que l’ODM, dont M. Ruto était une figure clé en 2007, n’a pas planifié de violence contre les autres Kényans », a déclaré l’opposant historique. Le candidat malheureux à la dernière présidentielle a cependant émis l’espoir que le gouvernement rendra justice aux victimes et leur accordera des réparations pour que puisse être close cette page de l’histoire du Kenya.
Fragile réconciliation
Mais pour l’analyste Macharia Gaitho, il ne s’agit que d’une fragile réconciliation qui cache mal le fond du problème. D’ailleurs, poursuit-il dans le Nation, « aucun jugement n’effacera l’histoire ni ne voilera le fait que les plaies ne sont pas cicatrisées » alors que le pays attend de nouvelles élections générales en août prochain. L’analyste craint par ailleurs que cette décision ne soit exploitée par le camp Ruto à des fins électoralistes et que les supporters de ce dernier s’en servent pour menacer ceux de leurs concitoyens considérés comme ayant soutenu les poursuites à l’encontre du vice-président.
Pour le militant des droits des droits de l’homme, Ken Wafula, c’est une lourde déception pour les victimes qu’il encourage cependant à respecter cette décision de justice. L’activiste souhaite néanmoins que cette claque serve de leçon au bureau du procureur de la CPI, exhorté à bâtir ses futurs dossiers « sur des preuves concrètes et non sur des ouïe -dire comme ce fut le cas dans le dossier kényan ».
« Ce jugement illustre en tous cas l’énorme difficulté qu’il y a à rassembler des preuves contre un haut dirigeant de ce rang encore en fonction. Car sous tous les cieux, en Afrique, peut-être plus qu’ailleurs, ceux qui sont au pouvoir ont le bras long », a plaisanté un journaliste tanzanien. «Une raison de plus pour les chefs d’Etat africains de sabler le champagne lors de leur prochain sommet fin juin-début juillet à Kigali, au Rwanda », a ajouté ce reporter joint au téléphone par JusticeInfo.Net.