En septembre 2015, à Sousse, ville côtière située à 120 kilomètres de Tunis, la police arrête Marwen, un étudiant de 22 ans dont le prénom a été changé pour respecter son anonymat protecteur. Le tribunal de première instance le condamne à un an de prison pour « sodomie », sur la base du rapport médical relatif au test anal. L’Association Shams, engagée depuis sa création en mai 2015 pour la défense des minorités sexuelles, se lance alors dans une campagne pour libérer le jeune Marwen et dénoncer le « test de la honte » .
Mais voilà qu’en décembre 2015, la police, sur les dents depuis la multiplication des attentats terroristes, fait une descente dans le logis de six étudiants dans la ville de Kairouan, à 166 kilomètres de Tunis, alors qu’ils étaient en train de diner. Accusés de pratiques homosexuelles, les autorités leur font subir, dans une ambiance de violence et de terreur, des examens anaux. Le 10 décembre, le tribunal de première instance de Kairouan les condamne, selon l’article 230 du Code pénal, à 3 ans de prison ferme. Il ordonne également leur « bannissement » de Kairouan pour une période supplémentaire de 5 ans. Un verdict des plus sévères que la communauté homosexuelle tunisienne n’ait jamais subi depuis que cette disposition criminalisant la « sodomie » a été promulguée aux temps de l’époque coloniale.
Après leur arrestation, la Cour d’appel réduit la peine dans les deux affaires – à deux mois dans la première, et à un mois dans la seconde. Mais ces hommes, tous très jeunes, après avoir purgé une peine de prison de plusieurs mois, conservent leurs condamnations sur leurs casiers judiciaires et surtout une foule de séquelles psychologiques et le souvenir de tant de vexations et de traumas.
Passages à tabac dans les commissariats de police et en prison
Dans un long communiqué publié le 29 mars dernier, Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch déclare : « Le gouvernement tunisien n’a pas à se mêler des comportements sexuels privés des gens en les brutalisant et en les humiliant sous le prétexte de faire respecter une loi discriminatoire ». Elle ajoute : « La Tunisie devrait rayer de ses codes de telles lois archaïques, et les membres de la police qui ont maltraité ces hommes devraient être tenus pour responsables ».
Human Rights Watch mentionne avoir interviewé Marwen, quatre des six étudiants impliquées dans l’affaire de Kairouan ainsi que trois de leurs avocats : "Ces jeunes hommes ont décrit plusieurs abus commis par la police, y compris des remarques humiliantes et dégradantes à propos de leur homosexualité présumée, de même que des passages à tabac dans les commissariats et dans la prison", rapporte l’organisation humanitaire. Plusieurs témoignages sur le test anal, le comparent à une technique de torture, pourtant pratiquée par des médecins légistes dans les hôpitaux de la République.
Marwen confie à HRW : « Le docteur m’a dit de me déshabiller complètement, de m’asseoir sur le divan d’examen et de me pencher en avant. Les policiers n’étaient pas dans la salle. Il y avait deux femmes stagiaires. Le médecin m’a introduit son doigt. Il a fait bouger son doigt tout autour. Les deux femmes étaient en train de regarder ».
« Je me suis senti comme un animal »
Amar (un autre nom d’emprunt), l’un des étudiants de Kairouan, déclare : « J’étais le premier à entrer dans la salle où se trouvait le médecin. J’ai demandé au médecin : « C’est quoi ce test ? » Il a dit : « Un test comme pour les femmes » – ce qui signifie un test de virginité. J’ai dit : « Non, je ne ferai pas ce test » Le policier m’a crié dessus : « Respecte le docteur ! »[…]. Le policier m’a alors emmené à l’extérieur dans un petit jardin. Il m’a frappé. Il m’a giflé sur le visage et m’a donné un coup de poing à l’épaule et a dit : « Tu feras le test. ». Le médecin n’était pas en train de regarder, mais il savait que j’étais en train d’être battu ».
Amar poursuit : « Le médecin m’a dit de me mettre sur le divan d’examen. Il m’a dit : « Reste comme si tu étais en train de prier ». J’ai enlevé mon pantalon... Il a introduit un doigt à l’intérieur de mon anus, avec de la crème dessus. Il a mis un doigt dedans et le policier était en train de regarder. Il m’a demandé : « Ça va maintenant ? » J’ai répondu : « Non, ça ne va pas ». C’était douloureux. Ensuite, il a introduit un tube. C’était pour voir s’il y avait du sperme. Il a poussé le tube à l’intérieur, profondément. C’était environ de la taille d’un doigt. Ça faisait mal. Je me suis senti comme un animal, parce que j’avais perdu toute ma dignité. J’ai senti qu’ils me violaient. Je sens cela jusqu’à présent. C’est très difficile pour moi ».
Alors que la Tunisie semble représenter le seul pays à avoir franchi le cap des turbulents « printemps arabe », la loi discriminatoire à l’égard des homosexuels et les pratiques dégradantes de la police et du personnel judiciaire à leur égard, jette une ombre sur les acquis de la transition démocratique tunisienne. D’autant plus que l’article 24 de la nouvelle Constitution de janvier 2014 oblige le gouvernement à protéger les droits à la vie privée et l’inviolabilité du domicile des personnes. Plus encore : l’article 21 stipule que « Les citoyens et les citoyennes, sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune. » Enfin, l’article 23 interdit catégoriquement : « la torture morale et physique ».