Un pouvoir désormais aux mains des durs du régime, une opposition divisée, une communauté internationale en ordre dispersé: le Burundi, plongé dans une grave crise, est dans l'impasse, selon des analystes pour qui les risques d'une explosion sont bien réels.
"Après la fièvre électorale et les violences qui ont accompagné ce processus, la situation a été normalisée. L'heure est aux travaux de développement et à la lutte contre la pauvreté", se réjouit à l'AFP Willy Nyamitwe, responsable de la communication présidentielle au Burundi.
De fait, Bujumbura n'est plus depuis plusieurs semaines le théâtre d'affrontements armés entre forces de l'ordre et insurgés issus de la contestation contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza. Même les attaques à la grenade, jamais revendiquées, qui endeuillaient la capitale burundaise en ce début d'année, se sont faites plus rares.
"Le pouvoir burundais ne cache pas sa satisfaction aujourd'hui car il estime que +les forces terroristes ont été anéanties+ et que +l'ordre est rétabli+" à Bujumbura, explique André Guichaoua, professeur à l'Université Paris-Sorbonne et l'un des meilleurs spécialistes des pays des Grands lacs africains.
Mais cette "reprise en main" s'est faite au prix d'une sanglante répression qui s'est d'abord étalée dans la rue. Aujourd'hui, elle est devenue plus discrète même si elle n'a pas faibli, à cause du tollé soulevé par les cadavres qu'on ramassait chaque matin dans Bujumbura, selon les organisations de droits de l'homme.
Au prix également d'"un dévoiement du pouvoir burundais qui ne respecte plus aucune loi dans la répression de l'opposition", juge sous couvert d'anonymat un diplomate en poste au Burundi.
Celui-ci décrit "un pouvoir désormais aux mains d'un petit noyau de durs - des généraux hutu issus de la rébellion - et qui a mis en place un système de répression qui s'appuie sur quelques unités constituées de fidèles issues de la police, de l'armée, du SNR (services secrets - Ndlr), ainsi que des Imbonerakure (ligue des jeunes du parti au pouvoir que l'ONU qualifie de milice), et qui ont recours aux méthodes les plus barbares".
Plus de 400 personnes ont été tuées depuis le début de la crise, plusieurs milliers arrêtées et plus de 250.000 Burundais ont fui à l’étranger, alors que la torture et autres exécutions extrajudiciaires sont devenues monnaie courante, dénoncent les organisations des droits de l'homme et l'ONU.
Malgré les apparences, "la situation n'est pas maîtrisée", juge l'analyste Thierry Vircoulon de l'International Crisis Group (ICG), parlant d'"une accalmie trompeuse due essentiellement à la pression internationale sur le gouvernement et au changement de tactique de l'opposition qui maintenant se concentre sur les forces de sécurité".
- Ligne rouge -
Mais cette opposition apparaît divisée, selon les mêmes analystes.
"L'opposition politique avance en ordre dispersé" malgré l'existence du Cnared, une plate-forme qui regroupe tous ses leaders à l'exception d'Agathon Rwasa des ex-rebelles des FNL, et "l'opposition armée affiche ses divisions et se discrédite avec une guerre des communiqués", explique M. Vircoulon.
Ces analystes pointent aussi l'incapacité d'une communauté internationale "divisée" à trouver une "véritable" solution à une crise qui dure depuis bientôt une année.
A plusieurs reprises, les pays occidentaux se sont heurtés, au Conseil de sécurité de l'ONU, au refus de la Chine, de la Russie et de certains pays africains d'adopter des résolutions contraignantes pour le pouvoir en place. L'Union africaine elle-même n'est pas parvenu à dégager une ligne commune.
"Tant que l'on est dans un conflit de basse intensité en terme géopolitique, cette division structurelle va perdurer", estime Christian Thibon, professeur à l'Université de Pau, en France, et spécialiste de l'Afrique centrale.
Surtout que "le pouvoir est conscient d'une ligne rouge - le génocide ou une déstabilisation régionale - à ne pas franchir et c'est sur ça qu'il joue", souligne-t-il.
Malgré les appels de la communauté internationale à un "dialogue inclusif", le gouvernement, qui se "sent en position de force", a refusé jusqu'ici de s'asseoir avec son opposition en exil qu'il accuse d'être derrière les violences.
"Et compte tenu des divisions de la communauté internationale, rien n'oblige le gouvernement à y aller vite", regrette le même diplomate, estimant qu'"il faudra plusieurs mois au bas mot pour que de véritables négociations s’amorcent".
"Malgré cette apparence de retour à la normalité, la situation est potentiellement explosive au Burundi", s'alarme un analyste burundais, en invoquant "cette violence gouvernementale au quotidien et sa tentative d'ethniciser le conflit, une situation économique qui se dégrade suite aux sanctions occidentales et une tension grandissante avec le Rwanda".