Le verdict était très attendu. La justice rwandaise a condamné vendredi à une peine d'emprisonnement à perpétuité pour "génocide" Léon Mugesera un universitaire extradé depuis le Canada. La Haute Cour du Rwanda l'a jugé coupable sur trois chefs d'accusation : incitation publique à commettre un génocide, persécution et enseignement de la haine basée sur l'ethnicité. Le tribunal l'a en revanche acquitté de deux chefs d'accusation : complot et complicité de génocide.Léon Mugesera a interjeté appel du verdict sur le champ.
Le célèbre universitaire avait été extradé du Canada il y a quatre ans suite à de lourdes accusations de génocide portées contre lui. Le linguiste Léon Mugesera répond essentiellement d'un discours en langue rwandaise prononcé le 22 novembre 1992, à Kabaya, dans le nord du Rwanda.A l'époque du discours, Mugesera, aujourd'hui âgé de 63 ans, enseignait à l'Université nationale du Rwanda (UNR) et était vice-président, pour la préfecture de Gisenyi (nord), du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), le parti de l'ex-président Juvénal Habyarimana. Le procureur affirme que le discours controversé est une claire incitation des Hutus, en particulier ceux de Gisenyi, à commettre le génocide des Tutsis qui allait se produire deux ans plus tard.
Contexte
Le linguiste a pour sa part toujours soutenu que ces propos, prononcés dans le cadre d'une démocratie multipartite et du conflit armé entre le gouvernement rwandais et les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir) avaient été ressortis de leur contexte.Au lendemain de ce discours, le gouvernement rwandais qui était alors dirigé par un Premier ministre issu de l'opposition et accusé par Mugesera et son parti de « complicité avec le FPR » avait émis un mandat d'arrêt contre l'universitaire. Mugesera avait dû alors fuir le pays pour finalement se retrouver au Canada.
Réclamé par les nouvelles autorités rwandaises depuis 1995, il avait multiplié au cours des années les recours judiciaires au Canada, mais n'avait finalement pu empêcher son extradition en janvier 2012.
Dès sa première comparution devant un juge rwandais, le 2 février 2012, l'universitaire avait demandé que son procès se tienne en langue française, arguant ne plus maîtriser sa langue maternelle, le kinyarwanda. « Dans le domaine juridique et scientifique, il y a des termes que je ne connais pas » en kinyarwanda, avait-il tenté d'expliquer. Débouté de sa demande, il avait fait appel. Mais en vain. La justice rwandaise a décidé de mener le procès en langue nationale. Mais il n'empêche que l'accusé s'est exprimé, lors des audiences, dans un cocktail de kinyarwanda et de français. Interrogé, le procureur général du Rwanda à l'époque, Martin Ngoga, avait expliqué à l'Agence Hirondelle que la tentative de Mugesera d'éviter un procès en langue rwandaise était un choix stratégique. « Il y a, dans ce discours, des expressions et des insinuations dont le sens se perd dans la traduction ; il ne faut pas sortir le discours de Mugesera de son contexte, de sa langue ».
Des témoins cités par l'accusation, dont des proches du linguiste, ont affirmé que des Tutsis de la région avaient été la cible d'attaques après le discours de Mugesera.
Manoeuvres
Le procès s'est déroulé sur fond de désaccords quasi permanents entre la chambre et l'avocat de Mugesera qui accusait le ministère de la Défense de lui refuser les honoraires et les frais nécessaires à la préparation de la défense. De fait, l'accusé n'a pas présenté de témoins alors que les juges lui avaient accordé plusieurs remises pour s'y préparer. Ce que le procureur a toujours qualifié de manœuvres dilatoires, expliquant que Mugesera n'avait pas prouvé qu'il était indigent, donc incapable de payer lui-même les coûts de sa défense.Le 23 juillet dernier, l'accusation a requis la perpétuité, peine maximale au Rwanda, où la peine capitale a été abolie en 2007. Un délai supplémentaire a alors été accordé à la défense pour préparer ses plaidoiries mais à la clôture du procès, le 14 octobre dernier, l'accusé était seul face à ses juges. Invité par les juges à présenter ses conclusions, Mugesera a répondu qu'il ne pouvait plaider seul sa cause en ce moment crucial, sans l'assistance de son avocat.