Montrant à un groupe d'étudiants les cages où étaient enfermés les prisonniers politiques, Tho Lon - lui-même ancien soldat de Pol Pot - joue aujourd'hui les guides dans le dernier bastion des Khmers rouges, dans le nord du Cambodge.
"Toute ma vie j'ai été trompé par les politiciens", explique l'homme de 57 ans dans la ville d'Anlong Veng, dernier lieu de repli d'un régime ayant décimé un quart de la population du pays dans les années 1970. C'est là qu'est enterré son chef, Pol Pot.
Tho Lon participe à un programme de réconciliation récemment lancé entre des étudiants et d'anciens combattants, dans cette région où Pol Pot et son régime restent populaires.
Jusqu'à présent, les historiens, les autorités et les ONG avaient décidé d'ignorer le poids symbolique d'Anlong Veng, région à la frontière de la Thaïlande.
C'est ici, au milieu des montagnes Dangrek, que Pol Pot et les hauts dirigeants khmers rouges ont vécu plusieurs années après le renversement de leur régime par le Vietnam en 1979.
Cachés dans la jungle, ils ont mené deux décennies de guérilla jusqu'en 1998.
"Nous vivions dans les montagnes", raconte Tho Lon. "Nous avions perdu tout contact avec l'extérieur. Et donc nous pensions que tout ce que l'on nous racontait était vrai, que les Vietnamiens allaient nous décapiter."
Lors de ces années de guérilla, il a perdu un oeil et son avant-bras droit dans l'explosion d'une mine. Aujourd'hui, ce sont les plaies de la mémoire collective qu'il tente de soigner.
"Je ressens un mélange de pitié et d'excitation", analyse Sang Thong, un étudiant de 25 ans dans le groupe des visiteurs.
Certains membres de sa famille ont péri sous le régime des Khmers rouges. "Mais je ne viens pas ici dans un esprit de revanche, je cherche à mieux comprendre le régime".
L'ombre inquiétante de Pol Pot
Ly Sok-Kheang, à la tête du Anlong Veng Peace Programme, à l'origine de ces rencontres entre anciens Khmers rouges et étudiants, a dû vaincre les réticences.
Anciennes prisons et zones de charniers se sont imposés naturellement comme mémoriaux. Mais faire visiter ces lieux dans le cadre de ce travail de mémoire s'est révélé compliqué.
"Anlong Veng est l'endroit idéal pour parler de la paix au Cambodge", car c'est sa chute qui a marqué la fin de la guerre civile, insiste Ly Sok-Kheang.
Le terrain sur lequel Tho Lon s'adresse aux étudiants est aujourd'hui un champ de ruines. Mais il y a peu se dressait encore l'immense villa de Ta Mok, l'un des hauts dignitaires khmers rouges, surnommé "Le Boucher".
Ce dernier, qui a orchestré de nombreux massacres, est mort en 2006 sans jamais avoir été inquiété par la justice.
Il reste apprécié dans la ville, notamment pour ses projets d'irrigation et pour ses divers dons. A l'époque "les civils comme les soldats aimaient Ta Mok", raconte Tho Lon.
Sieng Sok Heng, qui gère l'office de tourisme d'Anlong Veng - une cabane en bois sur une route poussiéreuse - espère que ces nouveaux programmes permettront d'attirer davantage de touristes.
Actuellement, chaque mois, 2.000 Cambodgiens et une trentaine d'étrangers visitent la ville. Beaucoup veulent voir la tombe de Pol Pot, "Frère numéro un", mort deux décennies après la chute de son régime dans des circonstances troubles, après une scission menée par les partisans de Ta Mok.
Il avait été incinéré à la sauvette sur un lit de pneus, sur une colline surplombant la ville. Seul un panneau bleu rouillé signale l'existence de la tombe, à deux pas d'un casino flambant neuf.
"Il me fait un peu peur. Mort ou vivant, il a un certain pouvoir sur les gens", remarque Chhoeun Chhay Lin, étudiante de 18 ans. "Mais nous devons connaître l'histoire, apprendre, pour ne plus jamais suivre la direction prise par ce régime sinistre".