Il s'agit du deuxième procès en France pour les massacres de 1994 au Rwanda: deux anciens bourgmestres seront jugés à partir de mardi aux assises de Paris pour leur participation présumée au génocide.
Octavien Ngenzi et Tito Barahira, qui nient les faits, sont accusés d'avoir directement participé au massacre de centaines de Tutsi réfugiés dans l'église de Kabarondo, une commune de l'est du Rwanda, le 13 avril 1994.
Les deux hommes, qui se sont succédé à la tête de la localité, comparaîtront pendant huit semaines pour "crimes contre l'humanité" et "génocide", pour "une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires" en application d'un "plan concerté tendant à la destruction" du groupe ethnique tutsi.
Leurs avocats Philippe Meilhac et Françoise Mathe répètent que leurs clients "nient toute participation aux massacres" et soulignent les "nombreuses contradictions des témoins qui les accusent".
Me Meilhac est aussi "extrêmement inquiet quant à la capacité de Tito Barahira à endurer un aussi long procès". Son client, qui aura 65 ans en juin, souffre d'insuffisance rénale et doit être dialysé trois fois par semaine.
Ce procès se tient plus de deux ans après celui de Pascal Simbikangwa, un ancien capitaine de l'armée rwandaise condamné à 25 ans de réclusion pour complicité de crimes de génocide.
Un "verdict politique" pour la défense, qui a fait appel, dans un contexte de rapprochement entre Kigali et Paris après trois ans de rupture des relations diplomatiques (2006-2009).
Après un non-lieu en octobre 2015 pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, le premier Rwandais visé par une plainte en France, l'atmosphère s'est à nouveau refroidie. Le président rwandais Paul Kagame, qui accuse Paris d'avoir soutenu les génocidaires, a récemment appelé la France à "clarifier sa position".
- 'Un génocide plus concret' -
A la différence du premier procès, qui portait sur des tueries à des barrages dans la région natale du président hutu Juvénal Habyarimana dont l'assassinat fut le déclencheur du génocide, celui des bourgmestres sera celui d'un huis clos provincial.
A Kabarondo, les massacres se sont déroulés dans un espace restreint, entre le stade, la municipalité et la place du marché, et en un temps record. Dans cette commune proche de la frontière tanzanienne, les tueries étaient terminées avant la fin avril, avec l'entrée de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir). Alors que le génocide, qui fit au moins 800.000 morts, n'a pris fin qu'en juillet à Kigali.
"Avec ce second procès, on sera face à un génocide beaucoup plus concret, avec des victimes. Une cinquantaine de témoins viennent du Rwanda", a déclaré à l'AFP Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association à l'origine de la plupart des enquêtes ouvertes en France sur le génocide rwandais.
L'enquête judiciaire décrit Tito Barahira et Octavien Ngenzi, bourgmestres respectivement en 1977-1986 et 1986-1994, comme des personnages clés d'une administration qui allait glisser au service des tueurs.
"Passif" face aux premiers massacres, Ngenzi est ensuite présenté comme un "donneur d'ordre", à l'instar de Barahira.
Le matin du 13 avril, des témoins affirment avoir vu Barahira armé d'une lance à une réunion sur un terrain de football où il avait appelé à "travailler", c'est-à-dire à tuer des Tutsi, ce qu'il "nie absolument".
Peu après, des centaines de réfugiés arrivés les jours précédents ont été regroupés à l'extérieur de l'église: en quelques heures, des centaines furent tués à coups de machettes, gourdins ou grenades, selon des survivants.
Les Tutsi furent pourchassés jusque dans l'église et achevés, après un "tri entre Hutu et Tustsi" auquel Ngenzi et Barahira auraient pris part selon certains témoins.
"Barahira, auquel on prête une influence démesurée, était allé voir s'il pouvait faire quelque chose pour aider les réfugiés", selon son conseil. Quant à Ngenzi (58 ans), son avocate le décrit comme "un bon bourgmestre, dépassé par les événements".
Détenu depuis 2010, Ngenzi avait été retrouvé à Mayotte où il avait, sous une fausse identité, sollicité le statut de réfugié politique. Barahira a été interpellé en 2013 à Toulouse où il s'était installé.
Au Rwanda, ils ont tous les deux été condamnés en leur absence à la prison à vie par des tribunaux populaires "gacaca" en 2009, selon une source judiciaire rwandaise.