Agenda chargé pour ce procès de compétence universelle très attendu des associations de victimes rwandaises. 38 journées d’audience, 90 témoins et 6 experts doivent permettre de juger, à vingt-deux ans et 6.000 kilomètres de distance, deux accusés certes inconnus mais ayant eu des responsabilités dans une région du Rwanda, la préfecture de Kibungo, marquée par les crimes durant le génocide des Tutsis de 1994. Créé à Paris en 2012, le pôle judiciaire spécialisé dans les crimes contre l’humanité, saisi au total d’une trentaine de plaintes contre des Rwandais résidant en France, ouvre ainsi, tardivement, son deuxième procès.
Parties civiles en force
« On peut se réjouir de la tenue de ces procès, mais on peut aussi s’inquiéter des lenteurs des procédures » déclarait le 20 avril dans un communiqué le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), à l’origine des premières plaintes contre les deux accusés. A la différence du premier procès, cette fois neuf plaignants doivent être physiquement présents. Outre le CPCR, quatre associations représentent les victimes : la Communauté rwandaise de France (CRF), la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et l’association Survie. Au total, pas moins de onze avocats sont attendus sur le banc des parties civiles.
Si les deux petits bourgmestres de Kabarondo ont brûlé la priorité à d’autres dossiers considérés comme plus importants, c’est bien, explique un magistrat du pôle judiciaire spécialisé parisien parce qu’ils sont depuis des années en détention provisoire. Et que par ailleurs, la France a déjà été sanctionnée pour des abus en la matière par la Cour européenne des droits l’homme. Le premier, Octavien Ngenzi, a été arrêté à Mayotte six ans plus tôt, en juin 2010. Le second, Tito Barahira, a été appréhendé près de Toulouse il y a trois ans, en avril 2013. Du fait de leur connexité, les affaires sont jointes en juillet 2013.
Au cœur du procès, le massacre de l’église de Kabarondo
Lorsque le génocide se déclenche, Tito Barahira n’est plus bourgmestre à Kabarondo. Il l’a été de 1977 à 1986. Mais les plaignants accusent cet homme d’affaires et président local du parti présidentiel MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) d’avoir fourni aux milices interahamwe des armes et des instructions pour commettre des massacres, dont celui de plus d’un millier de réfugiés de l’église de Kabarondo, le 13 avril 1994, qui sera au cœur du procès. Tito Barahira aurait animé des réunions visant à organiser d’autres tueries, et mis en place des barrières meurtrières. L’homme, âgé de 65 ans, est malade et le procès devra s’interrompre les lundi et mercredi après-midi, pour lui permettre de suivre son traitement.
Octavien Ngenzi, pour sa part, était bourgmestre en titre à Kabarondo durant le génocide. Il est soupçonné d’avoir dirigé et ordonné plusieurs massacres de tutsis dans sa province de Kibungo, dont celui perpétré par les milices hutues à l’église de Kabarondo. Son arrestation à Mayotte, en 2010, s’inscrivait dans un contexte de réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, scellé en février par la visite à Kigali du président Nicolas Sarkozy, après trois ans de rupture des relations diplomatiques consécutives à l’émission à Paris de mandats d’arrêt contre des proches de Paul Kagamé dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du président Juvénal Habyarimana.
Retour de froid entre Paris et Kigali
Après le non-lieu prononcé en octobre 2015 pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, le tout premier Rwandais visé par une plainte en France, l’atmosphère s’est à nouveau refroidie entre Paris et Kigali. Pour le président Kagamé, interrogé par Jeune Afrique durant la période des commémorations du génocide en avril dernier, avant de renouer les relations diplomatiques « la France doit d’abord clarifier sa position sur le Rwanda. Il y a ces génocidaires qui ont trouvé asile là-bas, que l’on arrête puis que l’on libère, pour qui on délivre des non-lieux, que l’on juge au compte-goutte et que l’on refuse systématiquement d’extrader ». Des propos tenus moins d’un mois avant le démarrage du procès.