La France a ouvert la semaine dernière un procès pour génocide pour juger deux maires rwandais, le deuxième de son histoire. Les accusés sont deux anciens bourgmestres de la commune de Kabarondo (Est du Rwanda), Tito Barahira et Octavien Ngenzi, accusés de génocide et de crimes contre l’humanité commis il y a 22 ans.
Ce procès qui se tient au nom de la compétence universelle est très attendu des associations de victimes rwandaises. Créé à Paris en 2012, le pôle judiciaire spécialisé dans les crimes contre l’humanité, saisi au total d’une trentaine de plaintes contre des Rwandais résidant en France, ouvre ainsi, tardivement, son deuxième procès, deux ans après le premier, conclu par la condamnation à vingt-cinq ans de prison d’un ancien membre des services secrets, Pascal Simbikangwa.
Preuve de la difficulté de juger à Paris le génocide rwandais où le rôle de la France reste controversé et largement couvert par le secret militaire, plusieurs incidents ont émaillé le procès avant même son ouverture. Ainsi, une magistrate Aurélia Devos, chef du parquet au sein du pôle de magistrats spécialisés sur les crimes contre l'humanité au tribunal de grande instance de Paris, a fait valoir, fait rare, une "clause de conscience" pour justifier son retrait, moins d'un mois avant le début du procès.
Selon plusieurs sources proches du dossier, serait notamment en cause le lien entre l’avovat général Philippe Courroye et son conseil personnel, Me Jean-Yves Dupeux, qui assure dans d'autres affaires la défense de Rwandais accusés de génocide. La première semaine a été largement consacrée à la présentation des deux accusés et à leur carrière. Franck Petit, le correspondant de JusticeInfo.net au procès raconte l’interrogatoire de personnalité de l’un des accusés Octavien Ngenzi : « Le récit défile. Puis se précise quand, « le 6 mai 1986 », il croise une Nissan Patrol. « Voiture utilisée par les services de renseignements. » Un homme à l’arrière annonce que « le président de la République, tout à l’heure, a signé un arrêté qui te nomme bourgmestre. « Ngenzi est surpris, un peu déçu aussi parce qu’il a d’autres ambitions qu’être « un simple bourgmestre ». Impossible de refuser. De nouveau, le débit s’accélère. « J’ai occupé cette fonction du 7 mai 1986 au 16 avril 1994. Après j’ai pris la route du Kenya, des Comores, de Mayotte. C’est comme ça que je suis ici. » Ngenzi évoque alors la population « mélangée » de Fleury-Mérogis. S’arrête, tire sur le bas de sa chemisette. « Je me sens débordé, je m’excuse… »
En marge de ce procès, le Rwanda de Paul Kagamé essaie d’exorciser les récits du génocide. Sehene Ruvugiro, le correspondant de JusticeInfo.net à Kigali, essaie de déchifrer l’évolution des narratifs sur le génocide de 1994. Il écrit : « depuis un certain temps, les commémorations annuelles du génocide accordent plus de place aux témoignages de rescapés qui ont réussi à se relever de l'abîme qu'aux récits traumatisants de leur calvaire. Au lieu de s'attarder sur les coups de machette ou de gourdins, les nuits dans les marais, les traques par des chiens ou les séjours dans des fosses remplies de corps sans vie, les rescapés parlent des petits projets générateurs de revenus initiés après le génocide. »
Ces variations sont discutées au Rwanda et seraient selon de nombreux psychiatres sources de troubles chez les victimes qui ont encore besoin d’exorciser les massacres en les disant.
Cette même question du « dire » existe au Mali qui en est aux débuts de ses processus de justice transitionnelle. Se pose notamment le rôle spécifique des femmes. Le correspondant de JusticeInfo.net à Bamako, Bruno Djito Segbedji cite l’ex-parlementaire Dicko Fatoumata Dicko très engagée dans ce combat : « les femmes ont non seulement des droits, des besoins spécifiques à faire valoir mais aussi des contributions » à apporter « dans le processus de paix et de reconstruction d’un pays. Assumant les conséquences d’un conflit, les femmes ne se contentent pas d’essayer de survivre. »