Reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en Centrafrique en 2002 et 2003, Jean-Pierre Bemba a de nouveau comparu à la Cour. Au terme de trois jours de débats sur la sentence, le procureur a requis au moins 25 ans de prison contre le sénateur congolais. En face, la défense réclame une peine n’excédant pas ses huit années déjà passées en détention. Les magistrats se sont retirés pour délibérer. Leur décision ne sera pas rendue avant plusieurs semaines.
Jean-Pierre Bemba a repris la route de la prison de Scheveningen. Et il faudra encore attendre plusieurs semaines avant de connaître la peine qui lui sera infligée pour les crimes dont il a été reconnu coupable le 21 mars dernier. Des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre pour ne pas avoir empêché ou puni les viols, les meurtres et les pillages commis par ses soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), envoyés en Centrafrique en octobre 2002 pour soutenir le régime vacillant d’Ange Félix Patassé, menacé par la rébellion, finalement victorieuse, du général François Bozize. Pour l’accusation, même si Jean-Pierre Bemba n’a pas ordonné ces crimes, ils méritent « un châtiment sévère ». Face aux trois juges, le congolais Jean-Jacques Badibanga a rappelé « la vulnérabilité des victimes », des civils, femmes, enfants, vieillards, et « la cruauté toute particulière avec laquelle les crimes ont été commis ». Pendant quatre mois, a-t-il rappelé, des personnes « de tout âge, de tout sexe, profession ou statut social » ont été violées par les soldats. « Ils ont violé des femmes, des jeunes filles et des hommes en position d’autorité (…) à toutes heures du jour et de la nuit » et partout, « dans les maisons, dans les rues, dans les champs et en public. » Comme l’ont établi les juges, « il n’est pas question d’un viol, mais d’une campagne de viol massif survenue à grande échelle ».
Jean-Pierre Bemba avait plein pouvoir
En prononçant leur verdict, les magistrats ont rejeté les arguments de l’accusé. Il n’avait pas le pouvoir sur ses troupes, avait sans cesse asséné l’ex-vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) au cours de son procès. L’Armée de libération du Congo, branche militaire de sa milice, était passée sous le contrôle des forces centrafricaines en franchissant l’Oubangui, disait-il sans relâche. Mais les juges en ont décidé autrement et le substitut congolais Badibanga enfonce le clou. C’est lui qui « prenait les décisions relatives aux mouvements de troupes », a-t-il dit. « Le contrôle effectif de monsieur Bemba en République Centrafricaine était considérable », il « aurait pu empêcher ou réprimer [les crimes] à n’importe quel moment et de bien des façons » mais « il a laissé faire alors qu’il avait plein pouvoir ». C’est pour les mêmes raisons que l’avocate des victimes demande une peine plus sévère encore. Une peine « au-delà du seuil maximal » de 30 ans de prison prévus pour ce type de crime. Seuls les crimes jugés d’une extrême gravité sont passibles de la perpétuité devant la Cour. Représentant les 5229 victimes enregistrées dans cette affaire, maître Marie-Edith Douzima Lawson, a aussi jugé « révoltant », que l’accusé – père de cinq enfants - puisse mettre en avant son statut de chef de famille pour réclamer une peine clémente. « Nombreuses sont les victimes qui ont été privées, depuis 14 ans, de leur enfant, de leurs parents, de leurs conjoints. » Il y a « des filles qui ont perdu leur virginité, qui ont abandonné l’école, qui sont réduites à rien du tout » a-t-elle fustigé face à un accusé offrant un visage impassible à sa plaidoirie. Il n’a « aucune compassion, aucun regret, aucun remords. » Sur le banc de la défense, maître Peter Haynes y voit un excès de diabolisation. « En Centrafrique, il est devenu un diable dont il fallait avoir peur. » Mais « la réalité est à des kilomètres de la caricature qu’on vous a présenté », tente l’avocat britannique, avant de décrire par le détail son parcours politique depuis la création avec le soutien de l’Ouganda, en 1998, du Mouvement pour la libération du Congo, « une armée disciplinée » de 20 000 hommes, dirigée par celui présenté comme « un médiateur de paix » pour sa participation aux négociations de paix de Sun City, en 2002.
Ni Srebrenica, ni le Rwanda
L’avocat estime que l’intervention de Jean-Pierre Bemba en Centrafrique en 2002, décidée « en moins de 24 heures », était « non seulement légale mais aussi bien intentionnée ». Et il rappelle aux juges qu’ils ont reconnu sa culpabilité « du fait que ses subordonnés auraient commis trois meurtres, 28 viols, et un certain nombre de pillage », tout en s’excusant « de parler de chiffres lorsqu’il s’agit de vies humaines ». Ce n’est pas Srebrenica, pas le Rwanda, dit en substance l’avocat. « Il n’était pas présent sur les lieux, il n’a pas encouragé ses troupes » à tuer. « ll n’a pas ordonné » les crimes, « il n’était pas motivé par des motifs ethniques, religieux ou raciaux ». Seul problème, aux yeux de la défense : il avait « un défaut de contrôle sur ses soldats. » L’avocat réclame donc une peine clémente. « Il a passé huit ans en détention, à n’être ni un homme d’affaires, ni un homme politique, ni un mari, ni un père. Sa fortune s’est évanouie en gel et frais d’avocats. » Lors de son arrestation à Bruxelles en mai 2008, les juges avaient ordonné le gel de ses comptes bancaires et l’accusé a déjà remboursé à la Cour une première note de 2,2 millions d’euros pour ses frais de défense. Plaidant la clémence, maître Haynes avance qu’il n’existe aucun risque de récidive. « Il ne sera plus jamais à la tête d’une armée » assure-t-il, et sa situation « exclut tout retour à la politique ». Le farouche opposant au régime du président Joseph Kabila ne roulerait donc pas pour la prochaine présidentielle, prévue en novembre 2016, à en croire son avocat. Dès lors, « monsieur Bemba a non seulement atteint mais a dépassé depuis longtemps le terme de sa détention », conclut maître Haynes.
Une seconde affaire pèse encore sur le sénateur congolais. Jean-Pierre Bemba est aussi poursuivi par la Cour pour entrave au cours de la justice. Au cours de son procès, il aurait corrompu, avec quatre autres accusés dont son ancien avocat, maître Aimé Kilolo et le député congolais Fidèle Babala, plusieurs témoins. Les plaidoiries finales dans cette seconde affaire sont prévues le 31 mai.