Le 28 avril 2016, la Cour de cassation de Ouagadougou a annulé pour vice de forme les mandats d’arrêt internationaux émis dans le cadre de l’enquête sur le coup d’Etat manqué de septembre 2015, perpétré sous le régime de transition par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ex garde prétorienne de Blaise Compaoré qui a depuis été démantelée. Selon le comité intersyndical des magistrats burkinabè, ces mandats avaient dans un premier temps été jugé valides, mais la Cour est revenue sur sa décision quelques heures plus tard. Poursuivi pour son soutien présumé aux putschistes, l’actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, figure au nombre des personnes concernées par cette décision. Le mandat d’arrêt visant l’ex président Blaise Compaoré, poursuivi dans une autre affaire, reste en revanche intact, a annoncé la justice militaire.
Le communiqué de l‘intersyndical, publié le 11 mai 2016, est passé largement inaperçu dans les médias burkinabè et internationaux. Seul un site d’information en ligne le reprend dans son intégralité. Son contenu est explosif et met à mal la procédure ouverte sous le régime de transition par la juridiction militaire, relevant du ministre de la Défense, poste occupé, depuis sa prise de fonction fin décembre 2015, par le chef de l’Etat Roch Marc Christian Kaboré.
Dans ce texte, le comité, formé des trois syndicats de magistrats actifs au Burkina Faso, dénonce une situation «inconcevable et inadmissible pour tout juge.» Ils font état d’une «double décision de la Cour de cassation», la juridiction suprême, saisie par le commissaire du gouvernement (procureur militaire) pour un vice de forme dans la procédure d’émission des mandats d’arrêt émis par le Tribunal militaire de Ouagadougou dans le cadre de l’enquête sur le coup d’Etat manqué de septembre 2015.
Cette instruction, très sensible, a déjà conduit à l’arrestation du général Gilbert Diendéré, leader autoproclamé des putschistes, et de Djibril Bassolé, ex ministre des Affaires étrangères sous Compaoré, mis en cause par des écoutes téléphoniques, sujettes à caution, et dans lesquelles apparaîtrait également la voix de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Onze chef d’inculpation ont été retenus contre Djibril Bassolé et Gilbert Diendéré dont « attentat à la sûreté de l’Etat », « collusion avec des forces étrangères pour déstabiliser la sécurité intérieure » et « meurtre ». Guillaume Soro a été inculpé d’ « association de malfaiteurs, complicité d’atteinte à la sureté de l’Etat, complicité de trahison »
Second papier collé
Dans son communiqué, l’intersyndical fait mention d’une première décision de la Cour de cassation lue publiquement dans la matinée du 28 avril et rejetant la requête en annulation des mandats d’arrêt. «Curieusement, au cours de la même journée, elle est revenue dans des conditions non encore élucidées, sur sa décision pour dire que le pourvoi était fondé et les mandats querellés annulés», s’étonne l’intersyndical dans son texte. Le vice de forme est retenu par la Cour, au motif que l’avis (réquisitions) du commissaire du gouvernement, qui a donné l’ordre de décerner les mandats et apposé son visa sur les documents, n’a pas été sollicité, conformément à l’article 130 du code de procédure pénale. Joints par Justiceinfo, les signataires du communiqué, les secrétaires généraux des trois syndicats de magistrats burkinabè, n’ont pas souhaité faire d’autres commentaires.
Rédacteur en chef du bimensuel burkinabè Le Reporter, récompensé en 2015 par le prix Norbert Zongo du journalisme d’investigation, Ladji Bama est à l’origine des interrogations autour de cette décision. Il s’est rendu à la chambre criminelle de la Cour de cassation le lendemain, le 29 avril, avec pour objectif de consulter le plumitif sur lequel la décision de la Cour a été consignée. Ce qu’il dit être parvenu à faire. Photo à l’appui, il affirme à Justiceinfo qu’un second papier a été collé sur la partie du document notifiant la décision de la Cour. Ladji Bama défend la thèse de la «double décision» depuis le 1er mai. Publié une dizaine de jours plus tard, le communiqué du comité de l’intersyndical des magistrats burkinabè est venu donner du crédit aux investigations du journaliste.
Les trois syndicats de magistrats burkinabè affirment avoir sollicité le Ministre de tutelle, dans une correspondance déposée le 6 mai, pour réclamer l’ouverture d’une enquête par l’inspection des services judiciaires et la transmission immédiate du dossier au Conseil de discipline «afin qu’il puisse envoyer un message fort à ceux qui seraient inaptes à assumer l’indépendance tant chèrement acquise», écrit l’intersyndical. A ce jour, les autorités concernées n’ont pas réagi publiquement sur ce point précis.
Tollé dans la population
Cependant, dans une réaction publiée dans le journal «L’Observateur Paalga» le vendredi 13 mai, le procureur général de la Cour de Cassation, Armand Ouédraogo, évoque un «rabat d’arrêt», une première décision corrigée par les juges en raison des «erreurs qu’elle contenait», sans toutefois donner plus de précisions. «Malheureusement le ministère public qui n’assiste pas aux délibérations de la Cour ne peut indiquer la nature des erreurs ayant guidé le rabat d’arrêt. Et même s’il le savait, il serait tenu par le secret des délibérations», justifie-t-il.
L’annonce de l’annulation des mandats d’arrêt a soulevé un tollé parmi la population qui a manifesté son mécontentement sur les réseaux sociaux et dans les émissions interactives proposées depuis l’insurrection par les nombreuses radios de la bande FM. Le 29 avril, le lendemain de la décision de la Cour, le commissaire du gouvernement, le lieutenant-colonel Norbert Koudouguou, assure à l’AFP que les mandats seront relancés prochainement. Cependant, une semaine plus tard, le 7 mai, la presse annonce qu’il a été mis fin, par décret présidentiel, à ses fonctions et à celles du juge civil, Boussiwindé Sébastien Rapademnaba, détaché auprès de la juridiction militaire depuis octobre 2015. Une décision confirmée le 12 mai, lors du point presse hebdomadaire du gouvernement, par le ministre de la Justice, René Bagoro. «Le Chef de l’Etat qui est le ministre de la Défense a estimé qu’au regard de la situation, il avait besoin de le remplacer, de mettre un autre commissaire du gouvernement avec qui il peut facilement travailler. De ce point de vue, c’est une situation normale (...) seul le chef de l’Etat peut dire pourquoi il a remplacé le commissaire du gouvernement.»
Dans le cas du juge civil, le ministre précise qu’«à partir du moment où on nous dit que sa présence n’est plus nécessaire alors que nous, nous avons besoin de lui à la Cour d’Appel, on a mis fin à ses fonctions. Il n’a pas été remplacé.» Dans son communiqué, le comité intersyndical des magistrats voit dans cette décision, au contraire, «une atteinte grave à l’indépendance de la justice et une injonction, voire une menace voilée» à destination de la profession.
Protestation de la Côte d'Ivoire
Bien perceptible, la tension autour de ce dossier a donné lieu à de multiples soubresauts. Le 19 janvier, une dizaine de jours après l’émission du mandat d’arrêt à l’encontre de Guillaume Soro (8 janvier), la présidence ivoirienne publie un communiqué dans lequel elle fustige un mandat d’arrêt «émis au mépris des règles et des us et coutumes en la matière» et «réaffirme sa ferme volonté de régler cette question par la voie diplomatique».
Deux mois et demi plus tard, le 3 avril, au cours d’une conférence de presse marquant les cent premiers jours de son gouvernement, le chef de l’Etat burkinabè, questionné à propos des mandats, affirme avoir été informé de leur lancement de retour d’un sommet de l’UMEOA organisé à Cotonou, le 8 janvier, au Bénin. «Il aurait été bon dans le cadre de la coopération entre les institutions que nous soyons au moins informés avant que ces actes ne puissent être posés», déclare-t-il devant la presse, avant de poursuivre en réaffirmant sa volonté de respecter le principe de «séparation des pouvoirs» mais aussi de «privilégier la voie diplomatique» avec le voisin ivoirien.
Un mois plus tard, le 3 mai, cinq jours après l’annonce de l’annulation des mandats, une radio de Ouagadougou, Omega FM, annonce sur sa page Facebook qu’Interpol refuse d’exécuter les mandats d’arrêt émis par le Burkina Faso. Joint par Justiceinfo, l’Organisation internationale de police criminelle refuse de confirmer l’information. Le service communication d’Interpol indique que l’organisation ne commente pas les «spéculations» des médias et nous invite à nous référer à sa notice rouge des personnes recherchées dans laquelle, après vérification, ne figure par le nom de Guillaume Soro. Ni celui de l’ex président Blaise Compaoré, poursuivi dans le cadre des enquêtes sur la mort de Thomas Sankara, et dont le mandat d’arrêt international n’a pourtant jamais été annulé, a assuré la justice militaire burkinabè dans un communiqué le 15 mai.