Sous la Deuxième République rwandaise, autrement dit sous le régime du général-major Juvénal Habyarimana, le maire était un homme de confiance du chef de l'État. A l'avènement du multipartisme en 1991, sur fond de guerre entre l'armée régulière et la branche armée du Front patriotique rwandais (FPR), ce petit pays comptait pas moins de 145 maires – bourgmestres.
Après le coup d'État de juillet 1973, les maires étaient tous nommés à la tête de leur commune par le président Habyarimana.
Parmi ceux qui ont eu la chance d'occuper ce poste stratégique, figure Octavien Ngenzi, qui comparaît actuellement à Paris pour génocide et crimes contre l'humanité avec Tito Barahira, son prédécesseur à la tête de la commune de Kabarondo (est du Rwanda).
Pour sa part, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui a fermé ses portes en décembre dernier, a jugé douze anciens maires, dont deux ont été acquittés.
Ignace Bagilishema, l'un de ces deux anciens responsables administratifs acquittés par le Tribunal international, a témoigné le 17 mai pour la défense au procès de Tito Barahira et Octavien Ngenzi.
Au total, quinze ex- maires avaient été mis en accusation par le TPIR pour leur participation présumée au génocide des Tutsis de 1994, dont deux sont encore en fuite, tandis qu'un troisième, Ladislas Ntaganzwa, a été arrêté à la fin de l'année dernière sur le territoire congolais et remis à la justice rwandaise dans le cadre de la stratégie de fin de mandat du TPIR.
Après la prise du pouvoir, en juillet 1973, par le général-major Juvénal Habyarimana, le maire rwandais voit ses pouvoirs considérablement augmenter. Un décret-loi du 26 septembre 1974, définit le bourgmestre - le maire - comme étant "à la fois le représentant du pouvoir central dans la commune et la personnification de l'autorité communale".
« L'homme du Président sur les collines »
Nommé par le Président de la République sur proposition du ministre de l'Intérieur, il "est chargé du développement économique, social et culturel ainsi que de l'exécution des lois et règlements " dans son entité administrative. Une autre disposition lui donne le droit "de prendre, de sa propre initiative, en cas d'urgence, des règlements de police qu'il peut sanctionner par des peines ne dépassant pas sept jours de servitude pénale et 200 francs d'amende".
Le maire nomme, commande et révoque les policiers communaux, règle parfois des litiges fonciers, exécute les jugements rendus par les tribunaux et exerce un droit de regard sur toutes les activités dans sa commune.
La naissance, en 1975, du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), inspiré du Mouvement populaire de la révolution (MPR) du voisin zaïrois, le maréchal Mobutu Sese Seko, va doter le maire rwandais d'un surcroît de pouvoirs, étendus au domaine politique. D'office présidents du Mouvement au niveau communal, les maires vont jouer un rôle crucial dans l'implantation du MRND, notamment par le biais de "groupes-choc d'animation", en réalité des troupes folkloriques composées d'artistes locaux choisis par le maire en fonction de leur aptitude à célébrer le MRND et son président- fondateur. En qualité de responsable du MRND, le maire est le principal "œil du Mouvement" dans sa commune. « Autorité suprême à l'échelon local, il (le bourgmestre) était de toute évidence l'homme du Président sur les collines », écrit Alison Des Forges dans Aucun témoin ne doit survivre.
Le maire et le laisser-passer
Avec l'état de siège consécutif à l'offensive lancée à partir de l'Ouganda le 1er octobre 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR), le maire acquiert de nouveaux pouvoirs spéciaux.
Pour sortir de sa préfecture, il faut désormais être muni d'un laisser - passer délivré par le maire en personne. L'introduction de ce document aura pour conséquence de limiter les mouvements de personnes soupçonnées de collaborer avec «l'ennemi». Après la consécration du multipartisme en juin 1991, certains maires refuseront ce laissez- passer à des partisans de l'opposition, les confinant ainsi dans leur commune.
«Le couvre-feu et l'exigence du laissez-passer instaurés depuis le début de la guerre, écrit André Guichaoua dans Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994), « gênent considérablement les partis d'opposition alors que (…) les propagandistes du MRND, munis d'un laissez-passer permanent, peuvent circuler nuit et jour à travers tout le pays ». Le sociologue français ajoute que « les autorités préfectorales et municipales, en majorité restées fidèles au régime de l'ancien parti unique, tentent de saboter les activités des partis d'opposition ».
C'est seulement après la mise en place, en avril 1992, du gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre issu de l'opposition, que quelques rares maires, notamment dans le sud du pays, commencent à prendre leurs distances ouvertement ou timidement avec le MRND qui, désormais, n'est plus seul dans l'arène politique.