Après trois ans d'audiences, le verdict du Plan Condor tombe vendredi à Buenos Aires. Dans les années 1970, il a permis aux dictatures sud-américaines (Argentine, Chili, Uruguay, Bolivie, Paraguay, Brésil) d'étendre la répression d'opposants dans des pays amis.
La plupart des exécutions ou enlèvements (89) ont été perpétrés en Argentine, où de nombreux Uruguayens, Chiliens et Paraguayens ayant fui leur pays vivaient comme réfugiés politiques.
"C'est la première décision judiciaire sur le Plan Condor en tant que structure de coordination répressive", fait remarquer Gaston Chillier, directeur exécutif du Centre d'études légales et sociales (CELS), ONG argentine défendant les droits de l'Homme et représentant les intérêts des familles de victimes.
Au début du procès, en février 2013, ils étaient 25 accusés, dont l'ancien dictateur argentin Jorge Videla (1976-1981), retrouvé mort dans sa prison, trois jours après son témoignage. Il avait été précédemment condamné pour crime contre l'humanité.
Vendredi, ils seront 18 sur les bancs des accusés, des cadres de l'armée, 17 Argentins et un Uruguayen.
Ils auraient pu être plus nombreux mais diverses demandes d'extradition sont restées lettre morte.
- Washington savait -
A cette époque, Henry Kissinger était le chef de la diplomatie américaine et les Etats-Unis voyaient dans les dictatures un rempart face à l'avancée de la gauche, dans un contexte de Guerre froide.
"Des documents déclassifiés révèlent une correspondance entre un ministre argentin et Kissinger sur le Plan Condor. Le ministre expose la nécessité de maximiser les efforts contre le marxisme", assure l'avocate des victimes Luz Palmas.
"S'il y a des choses qui doivent être faites, faites-les rapidement. Mais vous devez reprendre rapidement les procédures normales", lui aurait répondu Kissinger.
Le dossier s'appuie sur des documents américains des National Security Archives. Ils établissent une grande coopération entre pays membres du Plan Condor. Les services uruguayens étaient par exemple autorisés à supprimer un opposant en Argentine ou à demander à la junte argentine de le faire disparaître.
Le Plan Condor prévoyait trois phases, détaille l'avocate. Premièrement, l'identification des opposants. Deuxièmement, leur élimination ou leur enlèvement dans les pays sud-américains.
La troisième phase, la neutralisation d'exilés en Europe ou à l'extérieur de l'Amérique du sud, poursuit Luz Palmas, a finalement été suspendue après l'attentat mené par un agent des services chiliens et de la CIA contre Orlando Letelier.
Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, a été tué lors d'un attentat à la voiture piégée à Washington le 21 septembre 1976, considéré comme l'une des premières attaques terroristes sur le sol américain.
"Des opérations étaient en préparation en France et au Portugal. Mais il y a eu des fuites et tout a été annulé", indique Luz Palmas.
- Deux ex-présidents accusés -
Un cas emblématique est celui d'un couple de militants opposés à la junte militaire, Maria Garcia et Marcelo Gelman, arrêtés le 24 août 1976 à Buenos Aires et conduits dans l'atelier mécanique Orletti, transformé en centre de torture. Lui est tué. Elle, enceinte et de nationalité uruguayenne, est transférée à Montevideo. Sa famille reste sans nouvelles à ce jour.
Sa fille, Macarena, confiée en adoption à une famille proche de la dictature uruguayenne, fera la connaissance de sa famille de sang à l'âge de 23 ans, en 2000.
Des centaines de militaires et policiers ont été jugés en Argentine pour des crimes commis pendant les années de dictature (1976-1983), alors que dans les autres pays voisins, les tortionnaires ont bénéficié de lois d'amnistie, notamment au Brésil.
"Le procès a permis de mieux comprendre comment fonctionnait le Plan Condor, et sa dimension. Jusque là, il n'y avait eu que des investigations d'historiens et des journalistes", souligne l'avocate argentine.
Les militaires communiquaient entre eux avec une sorte de télex, baptisé "condortel", dont ils avaient appris le maniement lors de formations organisées par l'armée américaine à l'Ecole des Amériques au Panama.
Outre Videla, le dernier général à avoir présidé l'Argentine (1982-1983), Reynaldo Bignone, risque 20 ans de prison de plus. Il a déjà été condamné en 2012, en même temps que Videla, pour vols de bébés d'opposants qui étaient ensuite adoptés par des fonctionnaires du régime.