Pour l'ex président du Burundi (avril 2003 à août 2005) Domitien Ndayizeye, qui a dirigé la transition après la signature de l'Accord de paix d'Arusha en 2000, un processus de paix excluant la principale plateforme de l'opposition est voué à l'échec. Cette dernière, désormais regroupée au sein du Conseil national pour le respect de l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et de l'Etat de droit (CNARED), n'était pas invitée au premier round de discussions qui vient de s'achever à Arusha, sous l'égide du médiateur, l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa. Dans une interview avec JusticeInfo, Domitien Ndayizeye plaide ainsi pour une participation pleine du CNARED, dont des membres sont accusés par le régime d'avoir joué un rôle dans la tentative de coup d'État de mai 2015.
JusticeInfo : Vous avez été président du Burundi après la conclusion des négociations d'Arusha en 2000. Vous revoici en discussions, dans la même ville, 16 ans après. Votre sentiment ?
Je suis frustré de me retrouver ici parce qu'à l'issue de la signature des accords d'Arusha et en tant que quelqu'un qui a participé du début à la fin et qui a joué un rôle dans l'application de ces accords et de la Constitution qui en a découlé pendant la période de transition, et qui a même organisé les premières élections post-transition, j'espérais que nous avions enterré pour de bon non seulement la hache de guerre, mais aussi cette volonté de nous exclure mutuellement. Malheureusement, le pouvoir aujourd'hui en place ne nous a pas épargné cela. Il a cultivé l'esprit d'exclusion (...) Cela a été un grand préjudice à la stabilité du Burundi et nous a conduits dans la situation que nous vivons aujourd'hui au Burundi. Mais rien n'est perdu pour de bon. Ce qui est important c'est que le Burundi ne persiste pas dans ces violations, mais plutôt se reprenne pour se remettre sur cette voie qui est bien claire au niveau de l'Accord d'Arusha et de la Constitution burundaise actuelle.
JusticeInfo: Sur quoi ont porté vos échanges avec l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa ?
Il y avait la question des présences qui était problématique, notamment la présence du CNARED, il y avait quelques invités qui étaient absents notamment ceux de la société civile. Il y avait aussi à lui exposer la situation générale du Burundi et ce que, selon nous, devraient être les grandes orientations qui pouvaient conduire le Burundi vers le recouvrement de la paix et de la démocratie. C'est spécialement cela dont nous avons parlé (…) Nous avons obtenu qu'il puisse écouter même les absents et il a accepté cela. Ça, c'est la première étape.
JusticeInfo : Parmi ceux qui n'étaient pas invités à cette session préliminaire, figure le CNARED que Bujumbura ne reconnaît pas et dont il traite certains membres de « putschistes »….
Il importe que le CNARED puisse donner sa contribution. Ce qui importe également, c'est que la médiation comprenne la nécessité de la présence du CNARED et qu'elle puisse en tenir compte. Et nous croyons que la médiation comprend d'abord l'importance du CNARED et la nécessité de sa présence, et moi je pense que cette médiation trouvera une formule d'inclure cette organisation importante dans le présent processus. Je pense que, d'après ce qu'il nous a dit, le président Mkapa va tout faire pour le rencontrer, mais également rencontrer les autres organisations importantes qui n'ont pas pu venir. Vous avez vu par exemple, que l'Aprodh (Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues) n'était pas là, le FORSC (Forum pour le renforcement de la société civile) n'était pas là, le FOCODE (Forum pour la Conscience et le Développement) n'était pas là non plus, alors que ce sont des organisations importantes qui ont pris les devants pour s'opposer au troisième mandat (NDLR : du président Pierre Nkurunziza). Donc, ce sont des organisations qu'il ne faut pas ignorer si on veut réellement recouvrer la paix au Burundi.
JusticeInfo : Donc, selon vous, sans le CNARED, les Burundais ne peuvent rien attendre de ces négociations ?
Personnellement, je ne vois rien à en attendre sans le CNARED parce que la vraie opposition se trouve là.
JusticeInfo : Certains, au Burundi comme à l'étranger, craignent qu'un génocide ne soit en cours de préparation dans votre pays. Partagez-vous cette crainte ?
Cette peur est née de différents discours qui ont été diffusés sur les radios et qui ont été prononcés par certains responsables : le Président de l'Assemblée nationale, le porte-parole du parti au pouvoir,... Ces discours ravivaient encore au Burundi une opposition entre les ethnies, et faisaient même carrément un appel à la répression de certains Burundais, ou même des Burundais qui n'avaient pas la même vision politique par rapport à ce troisième mandat et la gestion politique du Burundi. Ils incluaient même le spectre d'une reprise du pouvoir par une ethnie comme on a assisté à cela dans les premières années après l'indépendance. Si la situation devait persister, et si cet appel devait continuer, il ne serait pas exclu qu'au Burundi un génocide puisse avoir lieu. Cette peur existe réellement au Burundi et surtout quand vous voyez un parti au pouvoir qui, au lieu de faire recours à des forces policières et militaires reconnues, fait appel à des mouvements de jeunesse que nous connaissons, cela est fort possible. Mais je pense que cela n'a pas encore eu lieu et Dieu merci. Et il est encore temps de prendre des dispositions pour éviter cela.
JusticeInfo : En tant qu'ancien président de la République du Burundi, quels conseils donneriez-vous à classe la politique burundaise?
Au terme des négociations que nous avons menées ici à Arusha, de 1998 à 2000, nous nous étions donné une orientation politique qui était la paix et la réconciliation nationale. C'était aussi le retour à la démocratie et au pluralisme politique. C'était la tolérance. Ce que je recommanderais au Burundais, c'est de suivre cet état d'esprit, imprimé dans les Accords d'Arusha, et que nous avons expérimenté pendant la transition. Et cela passe par le respect strict de cet accord d'Arusha, quitte à ce que, si nous devions changer quelque chose, nous nous asseyions et nous mettions d'accord. Et tout cela est traduit dans la Constitution de la République du Burundi. Arrêtons donc cette violation de la Constitution de la République du Burundi et de l'Accord d'Arusha, nous recouvrerons la paix et nous nous remettrons sur la voie du développement.