Ce procès devra être équitable et suivi de poursuites à l’encontre de commandants pro-Ouattara
Le procès en Côte d’Ivoire qui visera prochainement l’ex-Première dame Simone Gbagbo pour crimes contre l’humanité pourrait représenter un moment charnière pour la justice. Toutefois, afin que ce procès ait une réelle valeur pour les victimes, il doit être crédible, équitable, et suivi par d’autres procès visant les auteurs de violations des droits humains des deux parties à la crise postélectorale de 2010-2011.
Plusieurs organisations de défense des droits humains agissant au nom des victimes ont refusé de participer au procès de Simone Gbagbo, qui doit s’ouvrir le 31 mai 2016. Elles ont invoqué une enquête incomplète sur son rôle dans les violations commises, ainsi que des manquements à la procédure criminelle de la Côte d’Ivoire dans les préparatifs du procès.
« Le procès de Simone Gbagbo – le premier en Côte d’Ivoire pour crimes contre l’humanité – devrait être une opportunité pour les victimes des forces pro-Gbagbo de connaître la vérité sur son rôle présumé dans les exactions commises », a déclaré Jim Wormington, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Mais à moins que le procès ne soit crédible et équitable, les espoirs des victimes seront de courte durée. »
La crise postélectorale a été provoquée par le refus du président d’alors, Laurent Gbagbo, de céder son pouvoir au président actuel, Alassane Ouattara, après l’élection présidentielle de novembre 2010. Le refus de Gbagbo d’accepter le résultat de l’élection a été suivi de violences et finalement par une résurgence du conflit armé. De décembre 2010 à mai 2011, au moins 3 000 civils ont été tués et plus de 150 femmes ont été violées, de graves violations des droits humains étant commises par les deux parties.
Simone Gbagbo sera jugée par la Cour d’Assises pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. L’accusation allègue que pendant la crise postélectorale elle a participé à une « cellule de crise » composé de dirigeants du parti politique de son mari et de ministres clés du gouvernement qui a planifié et organisé des exactions à l’encontre de partisans de Ouattara afin de maintenir son mari au pouvoir à tous prix.
Simone Gbagbo, placée en détention en Côte d’Ivoire depuis avril 2011, a également été mise en accusation par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité commis pendant la crise postélectorale. Le procès devant la CPI de son mari, l’ancien président Laurent Gbagbo, s’est ouvert le 28 janvier 2016 à La Haye.
Simone Gbagbo, au Palais de Justice à Abidjan, le 26 décembre 2014 © 2014 Reuters
La Côte d’Ivoire a refusé à ce jour de transférer Simone Gbagbo à la CPI. En décembre 2014 et mai 2015, les juges de la CPI ont rejeté la requête du gouvernement pour que les tribunaux ivoiriens restent compétents dans l’affaire de Simone Gbagbo, concluant qu’à ce moment-là l’enquête sur son rôle dans les violations de droits humains n’avait pas fait de progrès suffisants. Ces décisions signifient que la Côte d’Ivoire demeure dans l’obligation de remettre Simone Gbagbo à La Haye.
La position du gouvernement ivoirien demeure que puisque des tribunaux nationaux jugeront Simone Gbagbo pour les mêmes crimes dont elle est accusée par la CPI, l’affaire devrait rester en Côte d’Ivoire. De fait, en avril 2015, le Président Ouattara a déclaré que tous les futurs procès liés à la crise postélectorale se dérouleraient devant des tribunaux nationaux.
Plusieurs responsables ivoiriens ont affirmé à Human Rights Watch que le prochain procès démontrerait à la CPI que Simone Gbagbo peut être jugée équitablement par des tribunaux ivoiriens.
Toutefois, la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme, (FIDH), ainsi que deux importantes organisations ivoiriennes de défense des droits humains qui représentent des victimes de la crise postélectorale dans des procès nationaux, ont décidé de ne pas participer au procès. Dans une déclaration publique, la FIDH a exprimé ses préoccupations, indiquant que l’instruction visant Simone Gbagbo semble avoir été achevée prématurément, et que son procès ne donnera pas aux victimes une image compréhensive du rôle qu’elle aurait joué dans les abus commis lors de la crise post-électorale.
Il s’agit du deuxième procès en Côte d’Ivoire pour Simone Gbagbo. Elle a été inculpée en mars 2015 pour « crimes contre l’Etat » durant la crise postélectorale et condamnée à une peine de vingt ans d’emprisonnement. Une critique essentielle de cette procédure a porté sur le manque de preuves présentées la liant ainsi que d’autres dirigeants politiques aux violences commises par leurs partisans. Même si Simone Gbagbo va maintenant faire face à un procès pour son rôle dans des violations des droits humains, le principal défi pour l’accusation sera d’identifier des preuves la liant aux meurtres, aux viols et autres exactions commises par les forces pro-Gbagbo.
L’ouverture du procès arrive au milieu de prétendus progrès dans des enquêtes sur les crimes commis pendant la crise postélectorale, notamment l’inculpation de plusieurs commandants de haut rang des forces pro-Ouattara par la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction de Côte d’Ivoire.
Toutefois, le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre plusieurs réformes juridiques vitales qui devaient être réalisées au cours du premier mandat du Président Ouattara, achevé en novembre 2015. Parmi les réformes nécessaires et urgentes figurent un système de protection des témoins contre des représailles, ainsi que des amendements au code de procédure pénale exigeant que les juges fournissent des raisons motivant leurs décisions et accordant aux accusés le droit de faire appel.
Certains commentateurs affirment également que le procès de Simone Gbagbo est le signe que le gouvernement du Président Ouattara n’a finalement l’intention de poursuivre que les crimes commis par les forces pro-Gbagbo. Le Président Ouattara a rejeté cette critique, et il a affirmé après sa réélection au mois d’octobre 2015 que « la justice doit être égale pour tous, [il faut] éviter l’impunité. »
Pour faire de ces propos une réalité, le gouvernement ivoirien devrait maintenir le soutien à des enquêtes impartiales et indépendantes sur les crimes commis pendant le conflit de 2010-2011, et garantir que les procureurs et les juges d’instruction disposent du temps et des ressources nécessaires pour terminer leurs enquêtes. Les tribunaux devraient veiller à ce que le droit des victimes à participer aux procédures soit respecté.
« Cinq ans après la crise postélectorale, la Côte d’Ivoire entre dans une phase critique dans la lutte contre l’impunité », a conclu Wormington. « Le gouvernement devrait soutenir les efforts du système judiciaire ivoirien visant à terminer les enquêtes et à tenir des procès crédibles contre les responsables des crimes commis par les deux parties du conflit. »
L'article est publié par Human Rights Watch