Après sa condamnation l'année dernière à 20 ans d'emprisonnement pour « atteinte à la sûreté de l'Etat », Simone Gbagbo comparaît à nouveau depuis mardi 31 mai à Abidjan pour répondre, entres autres, de « crimes contre l'humanité ». Un procès controversé dans un pays où de plus en plus de voix dénoncent la justice des vainqueurs, affirmant pour certaines, que le jugement est connu d'avance. L'ancienne Première dame risque cette fois-ci la perpétuité.
Le procès pour « crimes de sang » intenté à Simone Gbagbo, s'est ouvert mardi 31 mai à Abidjan, en l'absence des organisations de défense des droits de l'Homme qui accusent la justice ivoirienne de ne pas les avoir associées à tout le déroulement de la procédure. La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), la Ligue ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO) et le Mouvement ivoirien des droits de l'Homme (MIDH), qui disent représenter « près de 250 victimes », ont ainsi annoncé qu'ils boycottaient le nouveau procès, s'estimant mal préparées pour défendre leurs dossiers.
Dans ce procès, qui est son deuxième devant la justice de son pays, l'ex-Première dame de Côte d'Ivoire, aujourd'hui âgée de 66 ans, est poursuivie pour « crimes contre l'humanité », « crimes contre les prisonniers de guerre » et « crimes contre les populations civiles », commis lors des violences postélectorales de 2010-2011.
Simone, dont le mari, Laurent Gbagbo, est actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI) est déjà sous le coup d'une peine de 20 ans d'emprisonnement pour « atteinte à la sûreté de l'Etat », toujours dans le cadre de cette crise postélectorale.
Controversé, le nouveau procès de Mme Gbagbo s'ouvre après le rejet par la Cour suprême de Côte d'Ivoire de son pourvoi en cassation, rendant ainsi définitive sa condamnation, en mars 2015.
Selon l'AFP, une trentaine de militants pro-Gbagbo s'étaient rassemblés devant le palais de justice d'Abidjan à la mi-journée pour manifester leur soutien à l'épouse de l'ancien chef d'Etat.
La composition du jury ne rassure pas
Simone Gbagbo comparaît devant trois magistrats professionnels et six jurés choisis par le ministre de la Justice. La composition du jury avait déjà posé problème à l'audience préliminaire, le 9 mai dernier. Les avocats de Simone Gbagbo avaient fait remarquer que ce jury était composé à 80% de personnes d'une seule ethnie, celle dont viennent les victimes alléguées de leur cliente.
Sans prendre la défense de l'ancienne Première dame, certains militants des droits de l'Homme, comme Anon Chris Simplice, président de l'Association des victimes et déplacés de guerre d'Abidjan (AVIGDA), ne sont pas non plus rassurés par ce jury. Annon Chris Simplice déplore par ailleurs les conditions de détention de Simone Gbagbo qui, comme il le rappelle, était apparue à l'audience du 9 mai dernier, très amaigrie et apparemment malade.
Par ailleurs, poursuit-il, ce procès tel qu'il se présente aujourd'hui, ne favorise en rien la réconciliation que les Ivoiriens appellent de tous leurs vœux. Dénonçant la justice des vainqueurs, il demande que tous les responsables de la crise de 2010-2011 comparaissent devant la justice mais pas n'importe laquelle. Il recommande un processus de justice transitionnelle au cours duquel les Ivoiriens auraient l'occasion de se parler franchement afin de se pardonner mutuellement et éviter ainsi d'autres crises.
Pour sa part Fondio Vazoumana, président du Comité ivoirien des droits de l'homme (CIDH), estime qu' il faut appliquer la justice au sens classique du terme, mais pas seulement pour Simone Gbagbo : il faut que tous responsables présumés de violations des droits de l'homme durant la crise de 2010-2011 répondent de leurs actes, dans le cadre d'une justice indépendante. Interrogé sur le refus d'Abidjan de remettre Simone Gbagbo entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI), le président du CIDH affirme que le plus important est que l'accusée bénéficie d'un procès équitable, en Côte d'Ivoire ou ailleurs.
« Il faut qu'elle paie »
Un procès équitable pour Simone Gbagbo à Abidjan ? Ses partisans n'y croient pas. Notamment à Yopougon, quartier du nord d'Abidjan. Attablés dans un maquis, sorte de buvette à ciel ouvert, des militants du Front populaire ivoirien (FPI), le parti dont Simone Gbagbo est l'une des co-fondatrices, affirment sans ambages qu'il ne s'agit que d'une parodie de justice. Ils espèrent cependant que ce procès va démontrer à la face du monde que la justice ivoirienne est inféodée au pouvoir politique en place.
Pour l'un d'eux, le président Alassane Ouattara aurait pu simplement amnistier l'ex-Première dame plutôt que de vouloir absolument la juger. Le militant du FPI cite l'exemple de Laurent Gbagbo qui, « en son temps, n'avait pas hésité, au nom de la réconciliation nationale, à amnistier tous les acteurs de la rébellion qui avait coupé le pays en deux après avoir endeuillé de nombreuses familles ».
Mais les inconditionnels du nouveau régime sont catégoriques. « Simone Gbagbo doit purement et simplement être jugée. Il faut qu'elle paie pour ce qu'elle a fait subir aux Ivoiriens », déclare avec force Dame Doumbia Assita, membre du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti d'Alassane Ouattara. Mais qu'est-ce que Simone a fait subir aux Ivoiriens ? Hésitante, la militante du RDR dit se fonder sur ce qui est rapporté dans la presse locale.