Reconnu coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2002 et 2003 en Centrafrique, Jean-Pierre Bemba n’en a pas pour autant fini avec la Cour pénale internationale (CPI). L’ex vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) est aussi poursuivi, avec quatre co-accusés dont son ancien avocat et un député congolais, pour avoir suborné quatorze témoins. Ouvert en septembre 2015, ce second procès touche à sa fin.
Jean-Pierre Bemba attend toujours de connaître la sentence qui lui sera réservée pour sa culpabilité dans les meurtres, les viols et les pillages commis par ses soldats en Centrafrique en 2002 et 2003, mais il a de nouveau, et pour trois jours, occupé le box des accusés pour y répondre, cette fois, de subornation de témoins. Selon l’accusation, quatorze d’entre eux auraient reçu, au cours du procès, argent et cadeaux pour déposer en faveur de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo. Le 31 mai, en prononçant ses ultimes conclusions dans cette seconde affaire contre M. Bemba, le procureur assure que le sénateur avait « beaucoup à perdre » s’il était reconnu coupable de crimes contre l’humanité, « sa fierté, sa stature, sa réputation, son pouvoir politique, la possibilité d’une victoire lors des élections présidentielles, sa liberté ». Dès lors, il aurait recruté de faux témoins pour défendre son innocence dans les crimes de Centrafrique. Pour Kweku Vanderpuye, Jean-Pierre Bemba a planifié et organisé la corruption de ses témoins, entreprise exécutée par quatre hommes : Son avocat d’alors, le belgo-congolais Aimé Kilolo, et l’un de ses associés dans la défense de Jean-Pierre Bemba, Jean-Jacques Mangenda. Fidèle Babala, député et vice-secrétaire général du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), le parti de M. Bemba qui, selon l’accusation, aurait géré la corruption financière. Enfin, Narcisse Arido, pressenti pour témoigner sur les aspects militaires du dossier et qui aurait recruté de faux témoins. A ces derniers, « Arido leur avait dit, ‘si vous n’avez pas été soldats, ce n’est pas grave. J’ai été soldat je vous dirais’ », a affirmé le substitut Vanderpuye. Ces témoins rencontreront l’équipe de défense au Cameroun, en 2013. C’est là-bas qu’ « ils ont répété » leurs dépositions, assure le procureur, comme s’ils « participaient à une audition pour un film ».
La défense renvoie la faute sur les absents
Jean-Pierre Bemba ne savait rien de tout cela, va asséner en substance sa défense. Maître Melinda Taylor rappelle que son client est en prison, « une cage, même si c’est une cage en or », mais là où il n’était pas « dans une situation de pouvoir ou d’autorité (…) Il ne savait pas ce qu’il se passait sur le terrain ». La cause des nouveaux soucis judiciaires du « chairman », comme l’appelle ses partisans, est « un intermédiaire véreux », surnommé Bob au cours du procès. A la Cour, procureurs et avocats utilisent souvent des intermédiaires chargés d’identifier des témoins. « Bob a saboté la défense Bemba », a assuré l’avocate. « La CPI sait bien tout le chaos qui peut être crée lorsqu’on utilise des intermédiaires véreux », lance-t-elle, rappelant l’affaire Thomas Lubanga au cours de laquelle la défense, cette fois, avait mis à jour une vaste entreprise de corruption des témoins du procureur, sans qu’aucune poursuites ne soient engagées.
Jusqu’à cinq ans de prison
Pour sa propre défense, maître Aimé Kilolo retrouve ses accents de plaideur. L’avocat des barreaux de Bruxelles et Lubumbashi avait succédé à maître Kwebe Liriss, à la tête du dossier Bemba, décédé en février 2012. C’est cet avocat d’affaires, un proche du père de l’accusé Jeannot Bemba, qui aurait enrôlé dès 2011, avec l’aval du greffe, Joachim Kokate, alors capitaine dans l’armée centrafricaine, comme intermédiaire de l’équipe de défense, lui aussi, selon l’avocat-accusé, responsable du fiasco. Maître Kilolo dit encore avoir trouvé les déclarations des faux témoins « pertinentes et crédibles », comme les autres avocats de l’affaire, Peter Haynes, Kate Gibson et Guénaël Mettraux, jamais inquiétés par la Cour. Et puis, il y avait aussi le nerf de la guerre, plaide-t-il. Jean-Pierre Bemba a dû régler une partie des honoraires de ses avocats, mais le greffe n’a rien donné pour les frais d’enquête. Fidèle Babala, qualifié de « confident » de M. Bemba par l’accusation explique, debout dans le prétoire, avoir mobilisé familles et amis du politicien pour régler les frais, « répondu à un appel de détresse », organisé « une chaine de solidarité ». Mais il « n’a jamais été question de corruption de témoins ». Le député en profite pour dénoncer les relations de la Cour avec la RDC, rappelle que les images de son arrestation dans la nuit du 23 au 24 novembre et son transfert menotté à La Haye, dans un Falcon spécialement affrété par la Cour, ont été diffusées en boucle pendant une semaine sur les télévisions congolaises, avant l’intervention des juges de La Haye. « Pourquoi cette similarité de vue et de pratiques entre les organes de la CPI et les autorités de mon pays ? » regrette-t-il avant de dénoncer une campagne des autorités congolaises, s’exprimant contre son retour au pays alors qu’il demandait sa mise en libération. « Le juge m’a demandé de choisir un autre pays d’accueil, rappelle-t-il, mais je suis un responsable congolais, et non un apatride ». Arrêtés les 23 et 24 novembre 2013 en RDC, en France, en Belgique et aux Pays-Bas, les quatre hommes ont été incarcérés pendant onze mois dans la prison de la Cour, avant d’être finalement libéré en octobre 2014. Un temps qui sera déduit de leur peine s’ils sont condamnés. Les accusés risquent jusqu’à cinq ans de prison et une amende, proportionnelle à leurs avoirs.