L'ONG suisse TRIAL célèbre ce lundi 6 juin son quatorzième anniversaire, en devenant désormais TRIAL International pour mieux refléter sa dimension mondiale. A cette occasion, elle lance aussi son nouveau site. L'ONG a été fondée peu avant la signature en juillet 2002 du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI) et après l'arrestation à Londres du dictateur chilien Augusto Pinochet qui a redonné l’espoir à l’idée de la compétence universelle. Elle s'est assigné pour mission de combattre l'impunité des crimes internationaux, par la recherche, le lobby, tout en oeuvrant aux côtés des victimes pour traduire les suspects en justice et en participant au renforcement des capacités des partenaires locaux dans des pays comme la République démocratique du Congo (RDC), le Burundi, le Népal et la Bosnie Herzégovine. A ce jour, l'ONG a réussi à apporter quelque 300 dossiers devant les tribunaux à travers le monde, représentant plus de 500 victimes. Le fondateur et directeur de TRIAL, Philip Grant, fait le point dans un entretien avec JusticeInfo.Net
Pensez-vous que l'impunité pour les crimes internationaux ait reculé au cours des 14 dernières années ?
Il y a une semaine Hissène Habré a été condamné à la prison à vie, je serais donc un peu négativiste si je disais que les choses n'ont pas bougé dans la bonne direction. Il y a eu beaucoup de progrès, une meilleure compréhension que l'impunité est un obstacle aux processus de paix et d'établissement de l'état de droit dans des pays sortant de violences généralisées. Il faut lutter contre l'impunité et je crois qu'il y a de plus ne plus de volonté et de compréhension de la part de la communauté internationale pour aller dans cette direction. C'est le principe général mais, bien-sûr, lorsque vous entrez dans les détails, il y a encore des faiblesses. Nous avons Hissène Habré, l'Opération Condor, toutes ces bonnes décisions qui sont rendues, mais je pense que le combat contre l'impunité a encore besoin d'une pièce fondamentale, qui est sa crédibilité. Ce qu'il faudrait, c'est d'avoir un procès impartial contre un puissant représentant d'un pays puissant, pour réellement montrer au monde qu'il ne s'agit pas de procès politiques, mais des questions de justice qui doivent être traitées comme des questions de justice et pas autrement. Et nous sommes probablement encore loin de là, loin de voir un George Bush ou un Vladimir Poutine en procès. Mais je pense que les principes sont en train d'être posés, et c'est sur la base de ces principes hérités de l'affaire Hissène Habré et de l'Opération Condor que nous pourrons aller de l'avant.
Dans quelle mesure les ONG ont -elles aidé, selon vous, à l'avancement des choses ?
Les ONG sont en train de frayer la voie, et TRIAL l'a fait en Suisse et dans les autres endroits où nous travaillons. D'autres ONG ont clairement placé la redevabilité sur leur agenda et, sans elles, nous ne serions pas en train de parler d'Hissène Habré et de ces autres procès importants. Je pense donc que des ONG comme la mienne sont absolument importantes pour jeter les bases de l'agenda sur ces questions. Je pense que la redevabilité des entreprises est la prochaine étape du combat. Il y a très peu d'affaires qui vont devant les tribunaux, en dépit des efforts d'ONG comme TRIAL. Mais je pense que nous sommes en train de jeter les bases de l'agenda et de la nécessité de demander des comptes à des entreprises qui sont complices de crimes internationaux.
Votre plus grand succès?
Je peux vous donner deux exemples: l'ancien chef de la police du Guatemala Erwin Sperison condamné à la prison à vie à Genève l'année dernière pour dix cas d'exécutions extrajudiciaires dans son pays ; et en Bosnie-Herzégovine, le tout premier verdict contre des auteurs de violences sexuelles, avec des réparations allouées aux victimes. Nous avons changé la jurisprudence. Les victimes peuvent maintenant obtenir des réparations dans une procédure pénale en Bosnie Herzégovine.
Vous avez mentionné la responsabilité des entreprises et vous avez dit que vous aviez travaillé sur des cas ?
Il y a eu une affaire contre Caterpillar pour avoir vendu des bulldozers D9 à l'armée israélienne. Mais le dossier a été abandonné par le Procureur suisse, qui a dit en substance que l'armée israélienne avait commis des crimes de guerre en utilisant ces D9 pour détruire délibérément des habitations civiles dans les territoires occupés mais qu'il n'y avait pas de lien suffisant entre la compagnie et ces crimes. L'autre affaire concerne une raffinerie appelée Argor, l'un des plus grandes raffineries du monde, basée en Suisse qui, selon nous, a raffiné –probablement à bon escient- de l'or pillé en RDC. Le Bureau du Procureur Fédéral est entré dans les locaux de la compagnie fin 2013 et a ouvert une enquête criminelle pour complicité du crime de guerre de pillage. Après une longue enquête, ils ont décidé de ne pas renvoyer l'affaire devant un tribunal parce que la compagnie pouvait probablement arguer qu'elle ne savait pas qu'il s'agissait d'or pillé par un groupe armé qui avait pris le contrôle d'une mine dans la province de l'Ituri, dans l'est de la RDC.
La Suisse, où vous êtes basés, s'implique –t-elle suffisamment dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux ?
La dernière affaire renvoyée devant un tribunal pour crimes de guerre – et j'exclue l'affaire Sperison, qui n'est pas une affaire de crimes de guerre- date de 2000. Cela fait donc 16 ans depuis que nous avons eu un procès, contrairement à la France ou l'Allemagne, par exemple. Les autorités fédérales suisses ont créé une unité « crimes de guerre » au sein du Bureau du Procureur Fédéral en 2012, mais elles n'ont pas doté cette unité de tous les moyens nécessaires pour mener des enquêtes sur ces affaires. Il y a vraiment beaucoup de suspects qui résident en Suisse ou y séjournent pour des réunions internationales, des vacances ou des visites à leurs banquiers…
Vos priorités pour l'avenir ?
Nous allons focaliser notre action sur deux thèmes, les violences sexuelles et les disparitions forces, sur lesquels nous apportons déjà une expertise utile en RDC, au Burundi, au Népal et en Bosnie Herzégovine. En ce qui concerne la compétence universelle, je pense nous nous investirons à l'avenir dans des enquêtes sur un nombre limité de dossiers de haut niveau, non pas juste pour faire en sorte que l'opinion en parle, mais pour nous assurer que les auteurs sont traduits en justice.