La découverte d’une fosse commune fournit de nouvelles preuves
Des militaires de la République du Congo ont tué au moins 18 personnes, y compris des femmes et des enfants, entre décembre 2013 et juin 2015, alors qu’ils servaient dans les forces de maintien de la paix en République centrafricaine. Deux ans après que Human Rights Watch ait communiqué pour la première fois des informations sur des disparitions forcées perpétrées par des soldats de maintien de la paix de la République du Congo, leur gouvernement n’a pris aucune mesure pour mener des enquêtes crédibles ou rendre justice pour ces crimes.
Une fosse commune découverte près d’une base des forces de maintien de la paix à Boali et exhumée le 16 février 2016 a révélé les restes de 12 personnes identifiées comme celles ayant été détenues par les soldats de maintien de la paix en mars 2014. L’exhumation des corps vient contredire la déclaration antérieure des forces de maintien de la paix soutenant que les victimes s’étaient échappées. Human Rights Watch a également documenté la mort par torture de deux leaders anti-balaka à Bossangoa en décembre 2013, l’exécution publique de deux anti-balaka présumés à Mambéré en février 2014, et les passages à tabac ayant entraîné la mort de deux civils à Mambéré en juin 2015 par des soldats de maintien de la paix congolais.
« La découverte de 12 corps est une preuve accablante d’un crime effroyable commis par des soldats de maintien de la paix congolais, qui avaient été envoyés pour protéger la population, et non pour s’attaquer à elle », a indiqué Lewis Mudge, chercheur sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités de la République du Congo ne devraient pas fermer les yeux sur les preuves croissantes de meurtres commis par leurs soldats à Boali et ailleurs. »
Ces crimes ont eu lieu alors que les soldats de maintien de la paix servaient dans la mission de maintien de la paix de l’Union africaine (UA), appelée MISCA, et dans la mission de maintien de la paix des Nations Unies, appelée MINUSCA.
Suite à l’exhumation de la fosse, Human Rights Watch a écrit au président de la République du Congo Denis Sassou Nguesso et à l’UA, les appelant à lancer des enquêtes crédibles afin de traduire les responsables en justice.
Une organisation non gouvernementale locale a exhumé la fosse commune sur la propriété d’ENERCA, une entreprise hydro-électrique, dont le site à Boali sert de base aux forces de maintien de la paix depuis 2013. Les corps étaient dans un état de décomposition avancé, mais leurs vêtements et d’autres objets distinctifs ont permis d’identifier les victimes comme étant des membres d’un groupe d’au moins 12 personnes arrêtées par les soldats de maintien de la paix congolais le 24 mars 2014. Les personnes arrêtées avaient ensuite disparu.
Human Rights Watch a enquêté sur les disparitions à Boali en mai 2014, juillet 2014, mars 2015, et avril 2016. Suite à son déplacement à Boali en mars 2015, Human Rights Watch a informé à la fois les Nations Unies et les autorités gouvernementales de l’emplacement de la fosse présumée, qui se trouvait à 500 mètres environ d’une base de la MINUSCA, comme le montre cette image satellite. Cependant, les forces de maintien de la paix de l’UA et des Nations Unies, ainsi que les autorités nationales n’ont fait aucun effort pour protéger le site ou procéder à une exhumation par des légistes afin de préserver des preuves en vue de futures procédures judiciaires.
Les victimes ont été arrêtées suite à un violent incident entre des soldats de maintien de la paix congolais et un leader anti-balaka local, le soi-disant « général » Maurice Konoumo, au cours duquel un soldat de maintien de la paix avait perdu la vie. Rendus furieux par la mort de leur collègue, les soldats de maintien de la paix congolais ont cerné la maison du leader anti-balaka, ont arrêté cet homme ainsi qu’au moins 12 autres personnes, y compris cinq femmes, dont une enceinte de 6 mois, et deux enfants, un d’environ 10 ans et l’autre de 7 mois.
Des témoins ont décrit à Human Rights Watch que les personnes arrêtées avaient été conduites à la base des forces de maintien de la paix vers 19 h et confinées dans la villa numéro 6, utilisée par un commandant identifié par les témoins comme étant le capitaine Abena.
Les soldats de maintien de la paix ont ordonné aux civils qui vivaient dans ou près de la base de rentrer chez eux. Un témoin a raconté : « Ils sont arrivés et nous ont hurlé : “Rentrez chez vous et verrouillez vos portes ! Ne sortez pas !” Ils étaient très en colère. C’était la première et unique fois qu’ils nous ont obligés à nous enfermer chez nous comme ça, ce n’était pas normal. »
Plus tard cette nuit-là, les témoins ont entendu des cris et une salve de tirs venant d’une zone proche de la villa de l’autre côté de la route, suivie une heure plus tard par une autre rafale de tirs venant du même endroit. Un témoin a précisé qu’il avait entendu une discussion houleuse entre les soldats de maintien de la paix congolais entre les deux rafales de coups de feu pour savoir s’ils devaient tuer ou non les femmes et les enfants, après quoi la deuxième salve a retenti.
Le lendemain, des témoins ont vu des traces de sang à plusieurs endroits dans la base, y compris près de la pompe à eau où les soldats de maintien de la paix congolais lavaient leurs véhicules. Les soldats de maintien de la paix ont interdit l’accès à une zone appelée Usine Boali 3, à environ 500 mètres de la villa, ordonnant aux résidents de ne rien y cultiver et de ne pas couper l’herbe, sous prétexte que la zone était minée. Les résidents ont expliqué qu’ils pensaient que c’était là que les soldats de maintien de la paix avaient enterré les victimes.
Le 2 juin 2014, Human Rights Watch a publié des informations sur la disparition forcée d’au moins 11 victimes à Boali et sur la torture à mort de deux personnes perpétrées par des soldats de maintien de la paix à Bossangoa en décembre 2013, appelant l’UA à prendre des mesures, la mission de maintien de la paix étant déployée sous ses auspices. Le mois suivant, le commandant de la force MISCA a temporairement suspendu les commandants de Boali et de Bossangoa, le capitaine Abena et le capitaine Mokongo, et des hommes sous leur commandement ont été redéployés dans d’autres régions du pays.
Conformément à l’accord relatif au statut de la mission entre le gouvernement centrafricain et l’UA, les pays contributeurs de troupes ont la responsabilité de traduire en justice les membres de leurs forces pour tout crime commis en République centrafricaine.
Conformément à l’accord relatif au statut de la mission entre le gouvernement centrafricain et l’UA, les pays contributeurs de troupes ont la responsabilité de traduire en justice les membres de leurs forces pour tout crime commis en République centrafricaine.
Le 4 juillet 2014, Human Rights Watch a écrit au ministre des Affaires étrangères de la République du Congo pour l’informer des conclusions et à El Ghassim Wane, alors directeur du département Paix et Sécurité de l’UA, pour demander instamment que des enquêtes soient menées et les responsables de ces crimes traduits en justice. Il n’y a pas eu de réponse.
En septembre 2014, lorsque les Nations Unies ont pris le relais de la responsabilité du maintien de la paix de l’UA, les représentants de l’ONU ont insisté pour que tous les soldats de maintien de la paix congolais existants soient mutés hors de la République centrafricaine et remplacés par de nouveaux militaires afin de garantir qu’aucun des responsables des abus ne fasse partie de la mission des Nations Unies.
Le crâne d’une victime, supposée être un individu qui a été sommairement exécuté par des soldats
de maintien de la paix de la République du Congo le 24 mars 2014. © 2016 Privé
En mars 2015, des enquêteurs sur les droits humains de l’ONU ont mené des enquêtes sur les crimes perpétrés par les soldats de maintien de la paix à Boali et à Bossangoa. Le 5 juin 2015, le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) de l’ONU a publié une déclaration confirmant les conclusions de Human Rights Watch et a indiqué que « le contingent congolais de la MISCA [avaient] commis des actes de disparition forcée et de torture ainsi que des exécutions extrajudiciaires. » Les Nations Unies ont transmis nombre de messages diplomatiques au gouvernement congolais à Brazzaville, demandant instamment l’ouverture d’enquêtes sur les allégations sérieuses. Peu ou pas de mesures ont été prises par l’UA ou le gouvernement congolais.
Le mandat de la MINUSCA prévoit la mise en place d’un soutien à la police nationale et aux institutions judiciaires. Alors que la compétence en matière de poursuites judiciaires pour les crimes commis par les soldats de maintien de la paix revient à la République du Congo, en l’absence de mesures prises par les autorités judiciaires congolaises, les autorités nationales de la République centrafricaine avec le soutien des Nations Unies devraient ouvrir leurs propres enquêtes pour traduire les responsables de ces crimes en justice, a déclaré Human Rights Watch.
Le 4 février 2016, Human Rights Watch a aussi publié un rapport sur l’exploitation et les abus sexuels à l’encontre de femmes et de jeunes filles par des soldats de maintien de la paix de la République du Congo, entre autres, à Bambari de la mi-septembre à la mi-décembre 2015.
L’UA, l’ONU et les autorités judiciaires en République du Congo et en République centrafricaine devraient coopérer pour garantir que tous les responsables de ces crimes soient traduits en justice et empêcher que de tels crimes se produisent à nouveau, a indiqué Human Rights Watch.
« Simplement muter les troupes hors de la République centrafricaine sans autres conséquences envoie le message que les soldats de maintien de la paix peuvent commettre des meurtres en toute impunité », a expliqué Lewis Mudge. « Aucun soldat de maintien de la paix ne devrait être au-dessus des lois. »
Exécutions sommaires commises par la MISCA à Boali – 2014
Le 24 mars 2014, des soldats de maintien de la paix congolais sont allés enquêter sur des tirs qu’ils avaient entendus en provenance de la maison d’un leader anti-balaka, connu sous le nom de « général » Maurice Konoumo. (En juin 2014, Human Rights Watch avait par erreur indiqué le nom de Mokono au lieu de Konoumo). Lorsque les soldats de maintien de la paix ont tenté de lui confisquer son arme, Konoumo, qui était saoul, a refusé de la leur remettre et une violente dispute a éclaté. Un prêtre catholique local respecté est intervenu pour calmer la situation.
Peu de temps après, un groupe de combattants anti-balaka a attaqué un véhicule de la MISCA près du marché central de Boali, lançant une grenade et ouvrant le feu à l’arme automatique. L’attaque a tué un soldat de maintien de la paix congolais et en a blessé quatre autres.
Suite à l’embuscade, un groupe d’environ 20 soldats de la MISCA a encerclé la propriété de Konoumo et a arrêté 13 personnes qui se trouvaient dans la maison : Konoumo ; sa femme âgée de 21 ans enceinte, Laurene Mombassa ; son fils de 18 ans, Grace-a-Dieu Konoumo ; la femme de son fils, Ingrid Konoumo, survivante d’un massacre anti-balaka, musulmane, âgée de 16 ans, que Konoumo avait mariée de force à son fils ; son frère, Antoine Konoumo ; un combattant anti-balaka, Richard Selebangue ; sa femme âgée de 20 ans, Marie-Sandrine Selebangue ; Jaline, une combattante anti-balaka âgée de 17 ans ; Gbaguene, un combattant anti-balaka ; un ami de Bobissa, Jean Bruno Wilita ; la femme de Wilita, Marie Wilita, avec son bébé de 7 mois ; et Derek Yawete, un garçon de 10 ans venu de Bogangolo.
Les soldats de maintien de la paix ont conduit les personnes arrêtées à leur base sur le site d’ENERCA et les ont enfermées dans la villa du capitaine Abena. Les soldats de maintien de la paix ont ordonné à tous les civils qui vivaient dans ou près de la base de rentrer chez eux.
Un témoin a raconté :
J’ai protesté contre l’ordre de la MISCA et j’ai demandé : « Comment pouvez-vous me dire de rentrer chez moi ? » Mais un ami m’a dit : « Ça a l’air sérieux, ne discute pas à ce sujet. » J’ai vu un véhicule traverser le camp avec des personnes à bord. Je ne pouvais pas voir qui c’était, mais les personnes étaient des civils. Ce n’était pas des soldats de la MISCA. Nous sommes restés à l’intérieur pendant quelques heures, puis vers 23 h, nous avons entendu beaucoup de coups de feu et de cris provenant des environs de la villa du capitaine. Une heure plus tard, j’ai entendu une autre salve de tirs. Nous avons entendu la discussion entre les salves pour décider s’ils devaient tuer ou non les femmes et les enfants.
Vers 1 heure du matin, j’ai vu leurs véhicules traverser le camp.
Après l’exécution, les soldats de maintien de la paix congolais ont nettoyé leur camion à l’eau de la pompe près de leur villa, ont raconté à Human Rights Watch des témoins interrogés en juin 2015. « Le lendemain matin, il y avait du sang partout autour de la pompe », a décrit un témoin. Un autre a précisé : « Même aujourd’hui, on trouve encore des cheveux près de la pompe. »
Le 3 juin 2014, après que Human Rights Watch ait publié son rapport sur les disparitions, l’UA a diffusé un communiqué de presse indiquant qu’elle avait ouvert une enquête sur les allégations et qu’en fonction de ses conclusions, elle « prendrait les mesures nécessaires selon les règlements régissant le fonctionnement de la MISCA. » Aucune information sur cette enquête n’a jamais été rendue publique. En mars 2015, des représentants de l’UA ont indiqué à Human Rights Watch qu’un rapport avait été rédigé, mais qu’ils n’avaient pas la possibilité d’en divulguer le contenu ni les conclusions. Lorsqu’en mars 2015, des enquêteurs sur les droits humains de l’ONU ont enquêté sur les crimes perpétrés par les soldats de maintien de la paix à Boali et à Bossangoa, ils ont confirmé que le contingent congolais de la MISCA avait commis des actes de disparition forcée et de torture ainsi que des exécutions extrajudiciaires.
Découverte de la fosse commune
L’organisation non gouvernementale locale a exhumé la fosse commune le 16 février 2016 à l’emplacement exact indiqué par les témoignages recueillis par Human Rights Watch. L’organisation, dont les missions incluent d’enlever des cadavres de puits et d’autres sources d’eau, a été informée de l’existence de cette fosse commune par des résidents locaux et le groupe a reçu des autorités locales la permission d’exhumer. L’exhumation a eu lieu en présence des autorités locales, dont un représentant de la police nationale, qui a décrit l’exhumation dans son rapport de police comme celle des « anti-balaka [qui avaient été] kidnappés par la MISCA, tués et enterrés ici ». Aucun légiste n’était présent.
L’exhumation a révélé 12 crânes, des vêtements correspondant à ceux des individus qui avaient été portés disparus en 2014, et plusieurs amulettes anti-balaka qui avaient été arborées par le général et ses combattants. Les personnes présentes à l’exhumation ont indiqué qu’elles ne pensaient pas que le crâne du bébé avait été retrouvé, même si l’un des crânes, bien plus petit que les autres, était considéré comme pouvant être celui d’un garçon de 10 ans.
Un individu qui a participé à l’exhumation a raconté à Human Rights Watch : « Les corps étaient enterrés les uns sur les autres, presque en couches. Je pense qu’ils avaient déjà été tués avant d’être mis dans la fosse, parce qu’ils ont été jetés les uns sur les autres. »
Un autre a indiqué : « Nous avons d’abord trouvé des gris-gris (amulettes traditionnelles associées aux anti-balaka), puis quelques vêtements et enfin les corps. » Une personne qui a pris part à l’exhumation, un ancien combattant anti-balaka de Boali, a reconnu la veste de Maurice Konomou.
Après l’exhumation, les corps ont été déplacés dans de nouvelles tombes à 2 kilomètres environ de Boali, dans un lieu isolé.
Les nouvelles tombes creusées en périphérie de Boali © 2016 Lewis Mudge/Human Rights Watch
En avril 2016, un des proches de Konomou a expliqué à Human Rights Watch :
Nous n’avons pas oublié ce qu’il s’est passé. Nous voulons que les soldats de la MISCA soient traduits en justice. Les personnes qui sont mortes auraient pu aider leurs familles si elles n’avaient pas été tuées. Nous voulons qu’une véritable enquête soit menée, nous ne sommes pas satisfaits de l’enquête menée jusqu’à présent. On dirait que la République centrafricaine ne représente rien pour l’Union africaine. Je me demande parfois : « Que se passerait-il si la justice pouvait être rendue ? Qu’est-ce que cela ferait si une véritable enquête était menée ?
Torture et meurtres commis à Bossangoa par la MISCA – 2013
Le 22 décembre 2013, des soldats de maintien de la paix congolais ont torturé à mort deux leaders anti-balaka à Bossangoa, après le lynchage brutal d’un soldat de maintien de la paix congolais le même jour. L’incident a été rapporté pour la première fois par Human Rights Watch en juin 2014, bien que de nombreux membres du personnel de l’ONU et de travailleurs humanitaires locaux qui séjournaient à la base de la MISCA à l’époque pour leur sécurité en aient été témoins. Enfermés dans une salle du personnel pendant l’incident, le personnel de l’ONU et les travailleurs humanitaires ont entendu les soldats de maintien de la paix congolais torturer les deux hommes toute la nuit. Leurs corps mutilés ont été retrouvés le lendemain et vus par de nombreux témoins qui ont confirmé que les deux hommes présentaient des brûlures importantes et des signes indiquant que des gouttes de plastique fondu brûlant avaient été versées sur leurs corps.
Exécutions commises par la MISCA à Mambéré – 2014
Le 26 février 2014, des soldats de maintien de la paix congolais ont tué, à Mambéré, deux combattants anti-balaka surnommés Palasie et Court Pied, au carrefour principal de la ville devant une grande foule de badauds. Des témoins interrogés par Human Rights Watch en avril 2016 ont expliqué que les soldats de maintien de la paix congolais leur avaient dit que les deux hommes avaient été capturés la veille dans le village de Bambio.
Un témoin qui a vu les exécutions a raconté :
J’ai vu deux hommes avec les mains liées derrière le dos. Il y avait un grand groupe de personnes qui regardaient, peut-être 200. Toutes les personnes étaient curieuses de les voir. Ils ont forcé les hommes à s’allonger sur le sol. Le commandant de la MISCA a pris les pistolets d’un soldat et les a abattus... Nous étions tous choqués par ce que nous avions vu. Je n’avais jamais vu quelqu’un se faire tuer comme ça.
Un autre témoin a expliqué que les soldats de maintien de la paix avaient incité les personnes à assister à l’exécution publique en hurlant : « Ce sont des anti-balaka, nous allons les tuer ». Le témoin a précisé que lorsqu’une foule s’était rassemblée, « les soldats de maintien de la paix ont forcé les deux hommes à descendre de leur camion, à s’allonger sur le sol puis leur ont tiré dans la tête et la poitrine. » Après l’exécution, les soldats de maintien de la paix ont obligé les résidents locaux à enterrer les corps, en leur disant : « Si vous n’enterrez pas ces corps tout de suite, nous tuerons trois fois plus de personnes. » Les résidents ont enterré les corps dans le cimetière derrière la gendarmerie.
Usage d’une force excessive et meurtres à Mambéré commis par la MINUSCA – 2015
Le 10 juin 2015, des Casques bleus congolais basés à Mambéré ont arrêté et frappé quatre hommes, dont deux sont morts plus tard de leurs blessures.
Selon les recherches de Human Rights Watch menées en avril 2016, les soldats de maintien de la paix ont arrêté les hommes en raison d’une dispute entre un Casque bleu et l’une des victimes au sujet d’une femme. Human Rights Watch n’a trouvé aucune information pour corroborer le fait que les hommes avaient été impliqués dans des activités criminelles, comme soutenu par la MINUSCA dans un communiqué de presse publié le 10 juin.
Trois des hommes – Alban Nambokinena, Kouvo Befio et Douala Bakiko – étaient voisins. Des témoins ont raconté qu’ils avaient été arrêtés à leur domicile tôt le matin du 10 juin et sévèrement battus au cours de leur arrestation. Nambokinena a expliqué :
J’ai entendu frapper un coup à ma porte vers 4 h du matin et j’ai ouvert. C’était des membres de la MINUSCA en uniforme militaire avec leurs casques bleus.
Au début, j’ai pensé que c’était peut-être pour du travail, donc je suis sorti, mais les hommes de la MINUSCA m’ont attrapé et ont commencé à me frapper devant ma maison. En même temps, ils ont tiré mon voisin Kouvo hors de chez lui et se sont mis à le battre lui aussi. Ils nous donnaient des coups de pieds et nous frappaient avec leurs fusils. Je savais que je n’avais rien fait, alors j’ai hurlé : « Qu’est-ce que j’ai fait ? » Ils me frappaient seulement et parlaient entre eux dans leur propre langue.
Un autre témoin, un ami des hommes arrêtés, a indiqué : « Lorsque j’ai vu les hommes monter dans le camion, j’ai essayé de les suivre, mais les soldats de la MINUSCA ont pointé leurs armes sur moi en disant, “Si tu nous suis, nous te tuerons”. Je suis juste rentré chez moi et j’ai pleuré. »
Les trois hommes, ainsi qu’un quatrième, Bernard Lamaye, ont été conduits à la base de la MINUSCA congolaise dans la zone de la scierie, où les passages à tabac ont continué pendant des heures.
Nambokinena a poursuivi :
Lorsque nous sommes arrivés à la scierie, ils ont vraiment commencé à nous frapper sérieusement dehors, en plein air. Ils ont fait quelque chose qu’ils appelaient « opération hélicoptère ». Ça se passait ainsi : quatre hommes attrapaient chacun une main ou un pied. Ensuite, ils nous jetaient aussi haut qu’ils pouvaient. Nous retombions et atterrissions sur des planches, ils nous donnaient des coups de pieds pendant notre chute.
Ils essaient de nous briser le corps. Je n’ai pas vraiment entendu ce qu’ils disaient parce que les Congolais parlaient entre eux. Ils ne posaient pas de questions. Ils ne nous ont pas interrogés ni demandé d’avouer quelque chose, ils nous frappaient, c’est tout. Ils m’ont fait l’« opération hélicoptère » quatre fois. Je ne peux pas vous dire combien cela faisait mal à la nuque, au dos et à la tête. Au bout d’un certain temps cependant, je ne ressentais plus la douleur. J’ai pensé que mon dos allait se casser en deux, j’ai vraiment cru que cela se produisait.
Enfin, lorsque je ne ressentais plus rien, le commandant a dit : « OK, ça suffit, mettez-les dans le conteneur ». Il était peut-être 6 h du matin parce que le soleil se levait.
Les hommes ont été enfermés dans un vieux conteneur d’expédition. Après quelques heures, un des hommes, Douala, est décédé de ses blessures. Un autre, Befio, est tombé dans le coma. Nambokinena a dit :
Nous avons commencé à crier. Nous avons appelé la MINUSCA. Un garde a hurlé : « Arrêtez ! Ne criez pas ! » Nous avons répondu : « Non, l’un des nôtres est mort ! » Le garde a dit : « Si nous ouvrons la porte et nous voyons que personne n’est mort, vous allez souffrir ». Mais ils ont ouvert la porte et un militaire de la MINUSCA est entré. Il a vu que Douala était mort. Il l’a vu immédiatement.
En apprenant ce décès, les soldats de maintien de la paix ont emporté les trois hommes restants à l’hôpital à Berberati, à 125 kilomètres de Mambéré. Des témoins ont décrit avoir vu les hommes être portés vers le camion de la MINUSCA. Un témoin a indiqué : « Il était évident qu’ils ne pouvaient pas marcher ».
Les soldats de maintien de la paix ont déclaré au personnel hospitalier que les hommes étaient des voleurs. Le personnel hospitalier et les autorités locales ont expliqué qu’ils avaient reconnu les hommes, savaient qu’ils venaient de Mambéré et ne croyaient pas qu’il s’agissait de criminels. Les membres du personnel médical ont dit que Befio était dans le coma à son arrivée à l’hôpital. Il est mort le 14 juin 2015.
Le jour suivant le décès de Befio, la MINUSCA a conduit les deux survivants en avion à Bangui, la capitale, puis les a transportés en ambulance à l’hôpital local. Les autorités locales ont donné à chacun 50 000 francs (environ 85 USD).
Dans le cadre des procédures normales, les criminels soupçonnés sont transférés à Bangui par la police de la MINUSCA, UNPOL, à la demande des procureurs nationaux ou locaux, et sont remis aux autorités nationales. Dans ce cas, le procureur national a indiqué à Human Rights Watch qu’il n’avait pas connaissance d’une quelconque demande de son bureau pour transporter les deux survivants à Bangui.
Après s’être rétablis, les hommes ont quitté l’hôpital. Ils n’ont pas été inculpés ni reçu une autre aide. « Nous avons vite été oubliés », a constaté l’un d’eux. Après un mois à Bangui, les hommes se sont retrouvés sans argent et sont rentrés à Mambéré en autostop.
Nambokinena a dit :
Si je suis accusé d’un crime, qu’ils viennent m’arrêter. C’est la MINUSCA qui a commis un crime. Je ne me suis pas remis de cela. J’ai des douleurs dans la nuque, le dos et les hanches. J’essaie de travailler, mais c’est difficile parce que mon travail consiste à charger du bois très lourd sur des camions. Je dois maintenant demander à quelqu’un de prendre ma place parce que mon travail est très physique et qu’il exige de la force. Je n’ai pas d’argent pour consulter un médecin. Quand j’aurai gagné un peu d’argent, je demanderai à un médecin de me donner des médicaments qui me donneront à nouveau la force de bouger. C’est difficile de bouger beaucoup et j’ai maintenant de terribles migraines.
Je pense beaucoup à ce qui m’est arrivé. Je suis traumatisé. Quand je vois les Congolais en ville, je me rappelle ce qu’il s’est passé. La population a encore peur des Congolais à cause de ça.
J’ai deux enfants et ma vie a empiré. Je ne peux plus nourrir mes enfants comme avant. Je n’ai plus la force de travailler comme avant. Je gagne deux fois moins d’argent qu’avant parce que ma santé est affectée. Pour tous mes problèmes, j’ai reçu seulement 50 000 francs et j’ai tout dépensé en médicaments à Bangui.
Vingt Casques bleus Congolais de l’unité de Mambéré ont été rapatriés après ces meurtres. Human Rights Watch ne sait pas si des soldats ont été traduits en justice pour ces meurtres et ces passages à tabac graves.
La MINUSCA a enquêté sur l’incident en 2015 et a adressé les conclusions au gouvernement de la République du Congo via une note diplomatique. À la connaissance de Human Rights Watch, il n’y a pas eu de réponse.
En avril 2016, la MINUSCA a ouvert une enquête interne, appelée commission d’enquête, sur l’incident. La commission d’enquête établira un rapport sur les procédures internes de la MINUSCA et comment la mission a réagi.
L'article est publié par Human Rights Watch