Obtenir plus de 20 millions de signatures pour la libération de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo actuellement en procès devant la Cour pénale internationale (CPI). Tel est l'objet d'une ambitieuse pétition lancée conjointement le 22 juin dernier par l'écrivain et homme politique ivoirien Bernard Dadié et l'ex-Premier ministre togolais Joseph Kokou Koffigoh, également connu dans le monde de la littérature africaine. A la fin de la journée de lancement, l'appel, qui peut également être signé en ligne , venait de recueillir 30. 000 signatures.
Les initiateurs du projet sont très connus dans leurs propres pays et sur le continent africain. L'aîné, Bernard Dadié, aujourd'hui âgé de 100 ans, est à la fois écrivain, journaliste et homme politique. Mais c'est surtout par ses romans et pièces de théâtre qui figurent sur les programmes d'enseignements dans nombres de pays africains qu'il est connu en dehors de la Côte d'Ivoire.
Le vieil homme de lettres, qui accuse aujourd'hui le président Alassane Ouattara de ne pas écouter le peuple, a donc pris fait et cause pour Laurent Gbagbo, dont le procès se déroule actuellement à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas.
L'ex-président et son ancien ministre Charles Blé Goudé sont poursuivis pour crimes contre l'humanité commis durant la crise électorale 2010-2011. Le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire de son rival Alassane Ouattara avait entraîné des violences meurtrières entre les deux camps. Aucun proche d'Ouattara n'a cependant encore été inquiété par cette Cour internationale.
Laurent Gbagbo est devenu en 2011 le premier ancien chef d'Etat livré à la CPI, laissant en Côte d'Ivoire son épouse, Simone, également sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour de La Haye. L'ancienne Première dame, qu'Abidjan refuse transférer à la CPI, est actuellement jugée dans son pays pour « crimes contre l'humanité », « crimes contre les prisonniers de guerre » et « crimes contre les populations civiles » lors de la crise postélectorale de 2010-2011. Dans un premier procès, la justice ivoirienne l'a condamnée à vingt ans d'emprisonnement l'année dernière pour atteinte à la sûreté de l'Etat.
Contre l'ingérence des puissances occidentales
Le co-initiateur de ce mouvement de soutien à Gbagbo, l'ex- Premier ministre togolais (1991 -1994) Joseph Koffigoh, né en 1948, a des liens avec la Côte d'Ivoire où il a fait une partie de ses études de Droit. C'est par ailleurs aux Nouvelles Editions Ivoiriennes qu'il a publié « l'Epopée des Eléphants » et « la Passion des Eperviers », deux recueils de poèmes.
Chef de la mission d'observation électorale de l'Union africaine à la présidentielle ivoirienne de 2010, il s'était attiré les foudres de la communauté internationale en assistant à l'investiture quasi-secrète de Gbagbo.
La pétition a été lancée en juin à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, en présence de plusieurs membres de la société civile et personnalités politiques du pays, dont Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale. Egalement au nombre des signataires ce jour-là, Innocent Anaky Kobenan, fondateur du Mouvement des forces d'avenir (MFA), parti proche du Rassemblement des Houphouëtistes pour la paix et la démocratie (RHDP), la coalition qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir en 2010.
Bernard Dadié, le principal initiateur de l'événement, a saisi l'occasion pour rappeler à la France et à la communauté internationale leur rôle dans ce qu'il a qualifié de « injustice faite à Laurent Gbagbo ». Il s'est insurgé contre l'ingérence des puissances occidentales dans les affaires africaines.
Absent à cette cérémonie, Joseph Koffigoh avait, pour sa part, envoyé un message. Dans ce texte lu devant l'assemblée, il considère Laurent Gbagbo comme celui qui « porte le drapeau d'une Afrique digne ». L'ancien Premier ministre togolais forme ainsi le voeu de voir bientôt « tous les démocrates africains fêter ensemble la libération du père de la démocratie ivoirienne et aujourd'hui héros de l'Afrique ».
Silence du côté du parti au pouvoir
Si la tendance dure du FPI conduite par Aboudramane Sangaré était fortement représentée dans la salle, ce n'était pas le cas des partisans d'Affi N'guessan, l'actuel président contesté de ce parti fondé par Laurent Gbagbo. En visite en France au moment du lancement, Affi N'guessan a indiqué dans une interview accordée à la presse, qu'il allait signer et promouvoir la pétition "non dans une logique d'affrontement mais de persuasion". Certains de ses partisans, accusés d'être venus pour chercher à saboter l'événement, ont été pris à partie le jour du lancement.
D'autres comme Josué Guébo, ancien président de l'Association des écrivains de Côte d'Ivoire, affirment se joindre à l'initiative, non pas par conviction politique mais plutôt par devoir de solidarité. « Je signe cette pétition pour dire ma solidarité et ma compassion envers toutes les victimes de la crise ivoirienne, pour célébrer le déclin de la saison des armes (…) Je signe cette pétition, en ayant à l'esprit que tout homme libre est un prisonnier en sursis», écrit l'homme de lettres.
Mais ce que de nombreux Ivoiriens ignorent, comme le rappelle le juriste Alfred Goré Bi, c'est qu'une pétition n'a aucune valeur juridique. Cet Ivoirien souligne que ce ne sont pas des signatures, fussent-elles un milliard, qui convaincraient les juges de la CPI de libérer Gbagbo et son ex-ministre Charles Blé Goudé.
Jusqu'ici, le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara s'est gardé de se prononcer officiellement sur la pétition.
Des observateurs soulignent cependant que la démarche aura le moins le mérite de montrer à l'opinion internationale que Laurent Gbagbo est toujours fort du soutien d'une bonne partie de ses concitoyens et de certains étrangers.