Emotion vendredi soir à l'Assemblée où les députés ont voté à l'unanimité un amendement gouvernemental inattendu au projet de loi "Égalité et citoyenneté", qui permettra de sanctionner la contestation des crimes contre l'humanité, dont le génocide arménien, au risque d'une nouvelle brouille avec Ankara.
Cet amendement, voté en première lecture, pénalise cette négation ou cette banalisation d'un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. C'était une promesse de campagne de François Hollande, après la censure par le Conseil constitutionnel en février 2012 d'une précédente loi pénalisant la contestation du génocide arménien.
Ce texte "vaudra pour tous les crimes contre l'humanité, dont le génocide arménien", a assuré la secrétaire d'Etat à l'Egalité réelle Ericka Bareigts aux députés.
Les crimes concernés sont ceux de "génocide", les "autres crimes contre l'humanité", "les crimes de réduction en esclavage ou d'exploitation d'une personne réduite en esclavage" et "les crimes de guerre".
"Alors que seule la négation de la Shoah est aujourd'hui réprimée, ce texte permettra de sanctionner la contestation ou la banalisation de l'ensemble des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, dès lors qu'ils auront été reconnus par une juridiction", a expliqué Mme Bareigts.
Mais cet amendement étend également cette sanction à la négation de ceux dont l'ancienneté exclut une reconnaissance par une juridiction mais sont reconnus historiquement, comme l'a fait le Parlement français avec une loi votée en 2001 reconnaisant le génocide arménien de 1915.
Pour la négation de ces derniers, une sanction interviendra dès lors que "leur contestation ou leur banalisation sera commise dans des conditions incitant à la haine ou à la violence".
C'est cette dernière partie du texte qui fait penser au gouvernement que la loi pourrait échapper cette fois-ci à la censure du Conseil constitutionnel.
En février 2012, le Conseil constitutionnel avait en effet censuré une loi votée à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui pénalisait un génocide reconnu par la loi française au motif de l'exercice de la liberté d'expression. Mais le Conseil avait estimé aussi qu'une loi pouvait réprimer les abus de l'exercice de la liberté d'expression, lorsque celle-ci incite à la haine ou à la violence -c'est le principe de la loi Gayssot de 1990 contre l'antisémitisme et la négation de la Shoah-.
A la suite de cette censure, François Hollande avait promis pendant sa campagne une nouvelle loi mais il ne s'était rien passé depuis 2012.
- "Moment historique" -
D'où l'émotion affichée par de nombreux députés militants de la cause arménienne, présents dans l'hémicycle ayant le sentiment de vivre un "moment historique".
"C'est un des plus beaux jours de ma carrière politique", a déclaré le député PS marseillais Henri Jibrayel, issu d'une famille rescapée du génocide.
"Je suis heureuse de voir que le raisonnement que je mène, avec les juristes et parlementaires depuis des années, était le bon", s'est félicitée la LR Valérie Boyer, députée de Marseille, où vit une forte communauté arménienne, qui avait défendu la proposition censurée en 2012.
"Ce texte n'est pas celui d'un peuple contre un autre, un peuple grandit en regardant son histoire", a lancé le PS Jean-Marc Germain à l'adresse de la Turquie.
La Turquie réfute le terme de génocide, même si elle reconnaît des massacres. Quelque 1,5 million d'Arméniens, hommes, femmes et enfants, ont été massacrés, selon les historiens, en Anatolie entre 1915 et 1917.
En 2012, le texte de Mme Boyer avait déclenché la colère des Turcs, leur Premier ministre (devenu depuis président) Recep Tayyip Erdogan y voyant "une montée de l'islamophobie et du racisme en Europe".
L'amendement du gouvernement a réécrit, avec son accord, un article du projet de loi initié en commission par le député guadeloupéen Victorien Lurel pour inclure l'esclavage dans la pénalisation de la contestation des crimes contre l'humanité.
Le texte, qui doit maintenant être débattu au Sénat, permettra aussi aux associations de lutte contre l'esclavage ou de défense de la mémoire des esclaves de se constituer partie civile dans ces procédures.