Au sortir du verdict, les avocats de la défense sont sonnés. Pas un mot à la presse. Le premier à réagir sera Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), pour se féliciter : « Les jurés ont suivi les réquisitions de l’avocat général, mais plus encore la détresse des victimes. Je suis heureux que la justice française condamne pour la première fois à une peine de réclusion à perpétuité. » Il y a deux ans, dans le premier procès de compétence universelle à se tenir à Paris, le capitaine Pascal Simbikangwa a été condamné à vingt-cinq ans pour sa participation au génocide des Tutsis de 1994. Il a fait appel.
Plus crédible aux yeux du Rwanda
« Ce verdict rend la justice française plus crédible aux yeux du Rwanda, qui ne croyait pas trop à cette justice, précise Alain Gauthier, le lendemain. Simbikangwa, au Rwanda, on le considérait comme un cadeau fait pour la vingtième commémoration du génocide. Sur la perpétuité ? Si des gens sont reconnus coupables de génocide, je ne vois pas d’autre peine possible. » Les réactions officielles du Rwanda se sont faites cependant discrètes. Seule la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) a salué, dans un communiqué, ce verdict « historique » de la cour d’assises de Paris, espérant que « enfin, la justice française va juger les autres génocidaires rwandais qui se trouvent en France ».
Pour Me Michel Laval, avocat du CPCR, la peine maximale n’était pas si attendue : « Je suis satisfait de les voir déclarés coupables, parce que je pense qu’ils le sont. La perpétuité ? C’est le choix des jurés. En observant leurs attitudes, on pouvait comprendre que des jurés penchaient en faveur de la culpabilité, tandis que d’autres montraient qu’ils doutaient. Dans tous ces procès où les témoins viennent déposer vingt ans après, il y a nécessairement une part d’incertitude, de friabilité. Mais il y avait une convergence entre les témoins. Toutes les scènes étaient décrites de la même manière. On ne s’est pas trompé de procès. »
Peine rare
À l’aune de l’ex- Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui était basé à Arusha (Tanzanie), la perpétuité est rare pour les bourgmestres, précise une recherche menée au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (Cessma, Paris). Sur un total de douze procès, seuls deux bourgmestres ont écopé de la peine maximale à Arusha. Le TPIR n’a par ailleurs retenu « l’entente en vue de commettre le génocide », contre aucun bourgmestre. Ce qui est significatif de la difficulté du TPIR à établir l’entente en général, mais plus encore à l’échelle locale. Six des dix bourgmestres condamnés l’ont été en revanche à la fois pour crimes contre l’humanité et pour génocide, comme les deux de Kabarondo.
Plan concerté
Au niveau de Kabarondo, la chambre d’assises de Paris considère que l’existence d’un plan concerté « découle de l’organisation et de la tenue de réunions dans le bar d’Anaclet Ruhumuliza, commerçant, dont l’objectif consistait, selon plusieurs témoignages, en l’attaque de la population tutsie mais également de la distribution d’armes ». Tito Barahira, précise la décision, « a participé aux réunions organisées chez Anaclet Ruhumuliza, en tant que membre du MRND, parti dont il avait été élu, quelques mois avant le mois d’avril 1994, représentant local ». Octavien Ngenzi, poursuit le jugement, entretenait des liens avec ce même commerçant et faisait partie, en tant que bourgmestre, du « Club de Kibungo » – où émargeait aussi le colonel à la retraite Pierre-Célestin Rwagafilita, ex-chef d’Etat-major adjoint de la gendarmerie et figure tutélaire de la préfecture de Kibungo.
L’ancien bourgmestre Tito Barahira, conclut la cour d’assises de Paris, « a très rapidement et pleinement adhéré au plan concerté à l’exécution duquel il participe activement en animant des réunions incitant la population à se livrer à des massacres ainsi qu’en participant lui-même à des attaques meurtrières, dans les secteurs ou à l’église catholique de Kabarondo, le 13 avril 1994 ». De son côté, Octavien Ngenzi, bourgmestre en titre durant le génocide, a également participé à ce plan « activement en organisant l’attaque de l’église de Kabarondo le 13 avril 1994, mais également les massacres dits du centre de santé et de l’IGA (acronyme kinyarwanda de Centre communautaire de formation permanente, ndlr) ainsi qu’en participant activement et de manière déterminante aux perquisitions et rafles ayant suivi ».
« Procès sans vision »
La défense escomptait une peine plus mesurée. L’avocate d’Octavien Ngenzi dénonce une situation de « chaos », une centaine de témoins ayant défilé en peu de temps, « sans que l’accusation soit capable d’avoir une théorie claire. Soit il aurait fallu plus de temps, soit une sélection des témoins. » Me Philippe Meilhac, défenseur de Tito Barahira, opine et rappelle que le procureur Philippe Courroye a été nommé peu avant le début du procès, tandis que la présidence de la chambre a changé en cours de procès. Pour lui, « il y a une contradiction entre l’ambition de conduire un procès historique et le fait que deux acteurs majeurs, le procureur général et le président de la chambre arrivent dans ces conditions ».
Pour Me Mathé, la sentence sans nuance sanctionne l’échec de ses tentatives d’accompagner la cour et les jurés vers un effort de complexité. « C’est un procès sans vision, lâche-t-elle. Un déni de la part de la juridiction de l’exigence de la compétence universelle, par la mise en place de méthodes qui permettent d’appréhender la complexité. On a jugé à l’aune des mécanismes génocidaires européens sans s’intéresser réellement à ce qui s’est passé au Rwanda en 1994. J’ai l’impression que l’on a fait un procès pour rien ! »
1 € pour tous
L’impression laissée jeudi par l’audience au civil, qui suit traditionnellement le prononcé du verdict, n’était pas très éloignée. Les avocats de neuf associations constituées parties civiles se sont succédé pour demander de lourds dommages et intérêts pour leurs organisations et pour une vingtaine de personnes physiques, certaines constituées durant le procès. Plusieurs ne disposaient pas de pièces établissant leur état civil. Les sommes demandées pour les associations comme pour les personnes physiques variaient entre 10.000 et 100.000 €. Après un bref délibéré, le président de la chambre a estimé que les demandes étant nombreuses et leur présentation particulière, « il n’y avait probablement pas de solution satisfaisante. La cour a décidé de choisir la moins insatisfaisante : les deux condamnés sont à titre civil condamnés à 1 € d’indemnité pour chaque partie civile au titre du préjudice subi. »
Les parties disposent d’un délai de dix jours pour faire appel.