Soudan du Sud: les relents de la mort flottent sur Juba

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L'odeur des corps en décomposition imprègne les couloirs de l'hôpital central de Juba, la capitale du Soudan du Sud, où les victimes des récents combats sont peu à peu enterrées dans des fosses communes.

Après être restés au soleil pendant des jours, 17 nouveaux corps viennent d'être ramassés vendredi dans les rues et amenés à la morgue de l'hôpital pour être identifiés avant d'être enterrés.

Ils rejoindront plus de 200 corps déjà ensevelis dans des fosses communes par la Croix Rouge. Les personnes ayant fui les quartiers les plus durement touchés par les combats rapportent que des corps étaient éparpillés partout dans les rues.

"Nous faisons notre possible", explique Andrea Catta Preta, du Comité international de la Croix Rouge (CICR), alors qu'un camion quitte lentement l'enceinte de l'hôpital pour emmener les corps vers l'endroit où ils seront inhumés.

A l'écart, des employés de la Croix Rouge enlèvent leur combinaison blanche, leur masque chirurgical et leurs bottes en caoutchouc, et s'assoient, en sueur sous la chaleur accablante, pour griller une cigarette après leur macabre labeur.

Dans ce lot, tous les corps sont ceux d'hommes: 10 d'entre eux sont des civils, cinq des membres de l'ex-rébellion, et deux des soldats gouvernementaux.

Comme depuis le début de la guerre civile en décembre 2013, les violences qui ont frappé Juba du 8 au 11 juillet ont aussi été perpétrées selon des critères ethniques.

Les survivants affirment avoir été ciblés par des hommes armés qui cherchaient à débusquer des membres de tribus rivales, en leur demandant quelle langue ils parlaient.

 

- Violence de la bataille -

 

Certains racontent comment les soldats ont mis le feu à leurs maisons. "Ils ont fait passer un tank au travers des maisons. La mienne, ils l'ont brûlée", raconte Jocky, 27 ans, mère de trois enfants, qui a trouvé refuge à la cathédrale catholique Sainte-Thérèse.

Ces combats, entre forces loyalistes fidèles au président Salva Kiir et ex-rebelles aux ordres du vice-président Riek Machar, ont aussi débouché sur des pillages.

Le principal entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM), qui abritait 4.500 tonnes de nourriture, de quoi nourrir 220.000 personnes pendant un mois, a été saccagé.

Le bilan des combats, survenus lors du cinquième anniversaire de l'indépendance du pays, n'est pas connu. Pas plus que pour la guerre civile, qui a fait des dizaines de milliers de morts, sans qu'aucun chiffre exact existe.

L'organisation mondiale de la Santé a fait état vendredi d'un bilan provisoire de 300 morts. Mais la plupart des acteurs s'accordent à dire qu'il devrait être au final bien plus élevé.

La Croix-Rouge tente toujours d'accéder aux quartiers les plus touchés, où des tanks et des hélicoptères ont fait feu dans des zones densément peuplées.

Tout est parti d'un affrontement le 8 juillet entre les gardes rapprochées de MM. Kiir et Machar aux abord du palais présidentiel, alors que les deux hommes étaient ensemble à l'intérieur pour une conférence de presse.

Les arbres calcinés sur la grande avenue et les impacts de balles sur la porte d'entrée principale témoignent de la violence de la bataille.

 

- 'Les corps jonchaient les rues' -

 

"Sincèrement, il y a des versions contradictoires sur la manière dont ça a commencé", a avoué vendredi Lul Ruai Koang, le porte-parole de l'armée gouvernementale.

"Ce qui est important, c'est que nous sommes engagés dans le processus de paix, nous espérons que ça puisse marcher", a-t-il affirmé.

Pour le moment, les troupes de Riek Machar "ont été repoussées en dehors" de la ville et ont fui Juba en trois colonnes, a assuré M. Koang, avant d'ajouter dans la foulée: "Nous ne sommes pas à leur poursuite".

Sur la route menant au quartier général de l'armée, les stigmates des combats sont également visibles.

Les murs d'un immeuble en construction de six étages, où ont pris position les ex-rebelles pendant les combats, présentent des trous béants causés par des explosions.

Des soldats interrogés par l'AFP ont confirmé la férocité des combats.

"Je suis soldat depuis que je suis enfant", explique Richard Bida, un lieutenant de 50 ans désormais à la recherche d'aide alimentaire dans une église de Juba, après avoir dû fuir les combats.

"Je n'ai jamais vu une bataille comme celle-là. C'était soldats contre soldats, puis soldats contre civils. Les corps jonchaient les rues".