La communauté internationale redoute des violences ethniques à grande échelle au Burundi, provoquées par les propos "incendiaires" du camp du président Pierre Nkurunziza désireux de mettre fin à la contestation agitant son pays depuis le printemps.
Les cris d'alarme successifs de l'ONU, des Etats-Unis et de la France pour ce pays de l'Afrique des Grands Lacs surviennent à la veille de l'expiration samedi d'un "ultimatum" lancé par le président burundais à ses opposants pour qu'ils déposent les armes.
La crise a déjà fait au moins 200 morts depuis fin avril.
"La violence récurrente et les tueries au Burundi doivent cesser", a tonné dans un communiqué le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.
Washington, qui s'inquiète depuis des mois des troubles politiques et du danger d'affrontements ethniques, a fustigé une "rhétorique incendiaire et dangereuse du gouvernement", qui pourrait provoquer des violences à grande échelle.
"Nous déplorons toute tentative d'incitation à la violence ou de travail de sape des pourparlers de paix sous médiation régionale", en allusion aux efforts de l'Union africaine, a protesté dans un courriel transmis à l'AFP l'émissaire américain pour l'Afrique des Grands Lacs, Thomas Perriello.
Signe de l'urgence de la situation, le diplomate américain se rendra au Burundi du 8 au 11 novembre pour exhorter toutes les parties au "maximum de retenue" et à la "reprise du dialogue", a précisé le département d'Etat dans un communiqué.
La France aussi a condamné "les discours de haine" à la connotation communautaire "inacceptable" et annoncé la tenue, lundi, d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU.
Signe de l'inquiétude que suscite le Burundi à l'étranger, la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, s'est déclarée prête à poursuivre tout auteur éventuel de "crimes de guerre, crimes contre l'humanité ou actes de génocide".
La candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat -- contraire selon ses contestataires burundais et Washington à la Constitution et à l'accord d'Arusha ayant mis fin à la guerre civile -- a plongé le Burundi dans une grave crise.
La répression de manifestations et la réélection en juillet de M. Nkurunziza n'ont pas empêché l'intensification des violences, désormais armées.
Lundi, le président a lancé un "dernier ultimatum", donnant à ses opposants jusqu'à samedi soir pour "déposer les armes" en échange d'une amnistie, après quoi la police pourrait "user de tous les moyens et techniques apprises".
- 'Génocide en marche' -
Fin octobre, le président du Sénat Révérien Ndikuriyo avait menacé de "pulvériser les quartiers" contestataires de Bujumbura, en rappelant les bombardements durant la guerre civile (1993-2006) de quartiers hutu, que l'armée - alors dominée par la minorité tutsi - accusait d'héberger des rebelles.
"Aujourd'hui, les policiers tirent dans les jambes pour éviter de tuer quand ils sont la cible de grenades dans vos quartiers (...) mais le jour où on va leur dire de +travailler+, ne venez pas pleurer!", avait lancé M. Ndikuriyo.
L'emploi du verbe "travailler" renvoie au génocide de 1994 au Rwanda voisin, qui fit 800.000 morts en trois mois, et où des miliciens hutu partant massacrer des Tutsi étaient encouragés à bien "travailler".
Dénonçant des "messages de haine et de division", Jérémie Minani, du Cnared, coalition opposée au troisième mandat de M. Nkurunziza, a jugé qu'un "génocide est en marche" au Burundi. L'International Crisis Group a fustigé une rhétorique semblable "à en faire froid dans le dos" à celle du génocide rwandais.
"Mensonge! Personne ne prépare un génocide", a contesté auprès de l'AFP un haut gradé policier, tout en se disant "prêt à tout pour défendre la démocratie pour laquelle nous avons versé notre sang".
La crise est avant tout politique mais fait ressurgir les antagonismes Hutu/Tutsi, dix ans après la fin de la guerre civile, dans un pays à l'histoire post-coloniale jalonnée de massacres inter-ethniques.
Ministre de la Sécurité publique, Alain-Guillaume Bunyoni, véritable numéro 2 du régime, a rappelé aux habitants des quartiers contestataires, surtout tutsi, qu'ils étaient minoritaires face à la masse paysanne hutu des campagnes favorable au président Nkurunziza. "Si les forces de l'ordre échouaient, on a neuf millions de citoyens à qui il suffit de dire: +faites quelque chose+", a-t-il lancé. "En quelques minutes, ils seraient ici! Qui parmi ceux qui ne rentrent pas dans le rang survivrait dans ce cas?".
De nombreux habitants effrayés ont commencé à fuir des quartiers de Bujumbura. "Nos dirigeants veulent se venger et ne s'en cachent pas", a témoigné une femme quittant le quartier de Mutakura.
Là, vendredi, le corps d'un fils du défenseur des droits de l'homme et figure de la contestation Pierre-Claver Mbonimpa a été retrouvé, quelques heures après son arrestation par la police, selon son père.