Les difficiles relations entre la Cour pénale internationale (CPI) et les dirigeants africains avaient fait couler beaucoup d’encre et de salive à la veille de l’ouverture du 27 e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine qui s'est achevé lundi 18 juillet , à Kigali, la capitale rwandaise. Certains avaient même redouté un retrait en bloc de pays africains du Traité de Rome, texte fondateur de cette Cour permanente basée à La Haye, aux Pays- Bas. Mais in fine, pas un seul mot sur la question dans les conclusions du sommet.
Les chefs d’Etat étaient-ils trop préoccupés par la situation au Soudan du Sud en proie à un nouveau conflit armé très meurtrier ainsi que par la survie financière de leur organisation ? Ou ne sont-ils pas parvenus à accorder leurs violons sur une CPI que certains d’entre eux vouent aux gémonies alors que quelques autres lui reconnaissent toujours une certaine légitimité, même si elle est loin d’être parfaite ?
Alors que la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, avait annoncé, la veille du sommet, que les maîtres du continent allaient se pencher sur la question, le président en exercice de l’Union, le Tchadien Idriss Déby, n’y a même pas fait allusion, ni à l’ouverture, ni à la clôture de ces assises continentales. Le monde n’a pas eu droit aux grands procès d’intention contre la CPI, dont certains chefs d’Etat africains commençaient à avoir l’habitude lors de leurs interventions du haut de la plus prestigieuse tribune du continent.
Le réquisitoire dressé le 16 juillet contre la Cour par Joseph Chilengi, président du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine, avait pourtant été d’une extrême sévérité, laissant augurer une décision radicale. « Le fait est que la CPI et sa façon de faire portent préjudice et violent les principes de la justice internationale », avait déclaré le diplomate zambien, lors d’une conférence de presse à Kigali. « Ils prétendent être une cour internationale mais, de notre point de vue, ce n’est pas le cas. C’est une cour qui représente seulement un tiers de la population mondiale étant donné que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et des pays comme l’Inde, la plus vaste démocratie, n’en sont pas membres ».
« Les Européens veulent imposer leurs solutions, telle que la CPI, à l'Afrique. Il est clair que la CPI fait partie des problèmes du système de justice internationale. C'est plus un problème qu'une solution », avait-il affirmé.
Contre un retrait en bloc de la CPI
Pour lui, si les Etats africains ont perdu confiance en la CPI au point que certains pensent même à s’en retirer, la responsabilité en revient à la Cour elle-même. « Les droits humains et la justice sont d’une nécessité absolue pour l’Afrique et les Africains, tout comme pour le reste du monde. La CPI n'a pas été créée pour l'Afrique ; mais non seulement elle cible l’Afrique, obnubilée (CPI) par un racisme qui est inacceptable, mais elle fait aussi face à des allégations persistantes de corruption. Le système de justice internationale se doit d’être parfait », avait poursuivi Chilengi.
« C’est pourquoi, aucun soldat, ni aucune personnalité politique de l’UE, des Etats-Unis ou de l’OTAN ne comparaîtra jamais devant la Cour. C’est pourquoi des allégations de crimes de guerre, de génocide en Irak, en Afghanistan restent impunies », avait conclu le représentant africain.
Si ces critiques semblent faire l’unanimité parmi les dirigeants africains, tous ne prescrivent pas le même remède. Un pays comme le Botswana s’était déjà fait marginaliser parmi les 34 Etats africains parties au Statut de Rome, en apportant publiquement son appui à la Cour. D’autres rares capitales africaines continuaient à soutenir la CPI mais sans avoir le courage de le clamer ouvertement. Selon des observateurs, les choses ont donc évolué au sommet de Kigali, lorsque d’autres voix comme le Nigéria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et la Tunisie se sont jointes au Botswana pour s’opposer à tout projet d’appel à un retrait en bloc de la CPI. Les organisations internationales des droits de l’Homme espèrent que cette prise de position encouragera d’autres Etats africains parties au Traité de Rome à surmonter leurs réserves car, disent ces ONG, la CPI, malgré ses imperfections, reste pour le moment le seul recours, en particulier pour les victimes de crimes graves commis par les plus hauts dirigeants.