Le droit peut-il corriger le passé colonial ? C’est ce que veut croire le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui entend attaquer la Grande-Bretagne devant une Cour internationale pour la Déclaration Balfour, qui, il y a pratiquement un siècle, offrait « un foyer national » au peuple juif.
Dans notre époque troublée, notre temps est celui des juges. Enonçant une vérité judiciaire forcément binaire (coupable / non coupable), ils apparaissent comme l’ultime arbitre donnant à travers le jugement, raison, sanction et réparation. D’où la tentation, y compris pour des gouvernements de se tourner vers le pouvoir judiciaire en cas de contentieux historiques pour légitimer un récit des faits au détriment d’un autre. Dernière tentative en date, celle de l’Autorité palestinienne qui a annoncé au sommet de la Ligue arabe à Nouakchott (Mauritanie) fin juillet son intention de poursuivre en justice la Grande-Bretagne qui « a donné à des gens qui ne sont pas d’ici (NDLR, le mouvement sioniste) quelque chose (NDLR, la terre palestinienne) qui ne leur appartenait pas ».
Le 2 novembre 1917, le ministre britannique des affaires étrangères, lord Balfour avait écrit à Lionel Walter Rothschild, grande figure du mouvement sioniste, une lettre ouverte où il satisfaisait les aspirations du mouvement sioniste qui réclamait le droit à l’auto-détermination du peuple juif: « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays ».
Près d’un siècle plus tard, lors du sommet de Nouakchott, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riad Malki, a expliqué les raisons de vouloir recourir à la justice : « Près d’un siècle a passé depuis 1917 (la Déclaration Balfour)… Nous travaillons pour que la justice pénale internationale enquête sur le crime qui a été commis contre notre nation depuis le début du Mandat britannique en Palestine jusqu’au massacre qui a été commis contre nous en 1948 et après ». Riad Malki a aussi affirmé que « la question resterait ouverte tant que la Grande-Bretagne ne s’excuserait pas ».
"un cri de desespoir"
En soi, la menace de l’Autorité palestinienne de recourir à la justice n’est pas surprenante. Elle s’inscrit dans le prolongement de l’historiographie arabe qui voit dans la Déclaration Balfour l’acte initial de spoliation de la terre palestinienne donnée par une puissance coloniale au mouvement sioniste, et qui débouchera trente ans plus tard sur la Nakba et la création de l’Etat d’Israël. Déjà en 2013, l’Autorité palestinienne avait déclaré que la Déclaration Balfour constituait un « crime contre l’humanité », affirmant que celle-ci « avait rendu possible la partition (NDLR, de la Palestine), l’agression, les colonies de peuplement, le mur de séparation, le siège de Gaza et l’exil de millions de Palestiniens ».
L’Autorité palestinienne est parfaitement consciente qu’il est hautement improbable qu’un tribunal international se déclare compétent pour juger une Déclaration vieille d’un siècle émise par une ex-puissance coloniale. Et plus encore, pour établir un lien entre la Déclaration de 1917 et l’exode des Palestiniens en 1948. L’enjeu est d’utiliser la menace du droit comme une caisse de résonance médiatique à un moment où l’Autorité palestinienne vit des heures difficiles. Il est symptomatique que le président Abbas ait choisi le sommet de la Ligure arabe pour menacer Londres de poursuites judiciaires. Le processus de paix est enterré depuis longtemps et nombre de pays arabes – dont l’Egypte et l’Arabie Saoudite – partagent des intérêts géostratégiques communs avec l’Etat hébreu et s’inquiètent comme Israël de la menace de l’Iran et de l’organisation de « l’Etat islamique ».
Le quotidien israélien, Haaretz interprète la déclaration palestinienne comme « un cri de désespoir » de l’Autorité palestinienne face à un monde arabe qui a bien d’autres priorités que le conflit israélo-palestinien. Et nul ne voit la Première Ministre britannique, Theresa May, s’excuser pour la Déclaration Balfour, à l’heure où la négociation sur le Brexit est la priorité de Londres. Le Foreign office a simplement indiqué que la Grande-Bretagne allait plutôt « marquer » que « célébrer » la Déclaration Balfour, adoptant sans surprise une position médiane. Côté israélien, le gouvernement a dénoncé une nouvelle tentative de l’Autorité palestinienne de « délégitimer » l’Etat hébreu, après les diverses tentatives de poursuivre Israël devant la Cour pénale internationale. La Cour ne s’est pas encore prononcée. Mais interrogée sur l’opportunité d’ouvrir une enquête sur les crimes présumés commis dans le conflit israélo-palestinien, la procureure Fatou Bensouda, avait prudemment déclaré dans un entretien avec JusticeInfo.net : « Je tiendrais compte de plusieurs éléments : la nature des crimes, leur gravité, le lieu où ils ont été commis, la question de la complémentarité et les intérêts de la justice”.
Les confrontations historiques vont s’intensifier dans les prochains mois. Novembre 2016 marquera les soixante ans de la guerre de Suez que l’Egypte nomme « l’agression tripartite », lorsque Français, Britanniques et Israéliens avaient attaqué l’Egypte après la nationalisation du canal de Suez. Puis, l’année 2017 marquera à la fois les 100 ans de la Déclaration Balfour et les 50 ans d’occupation israélienne après la guerre des Six Jours. Sans perspective de règlement pacifique, le champ de bataille mémoriel n’est pas prêt de s’éteindre.