La Cour pénale internationale (CPI) a bouclé en trois jours le procès d’Ahmed Al Faqi Al Mahdi poursuivi pour crimes de guerre pour la destruction de bâtiments historiques et religieux à Tombouctou, en juin et juillet 2012. L’accusé a plaidé coupable, demandé pardon aux victimes et coopéré avec le procureur. Le verdict est attendu le 27 septembre.
Les juges auront cinq semaines pour délibérer et prononcer une peine « juste et ferme », une peine capable de punir, dissuader et réconcilier, comprise entre 9 et 11 ans de prison, a requis le procureur mercredi 24 août. Ahmed Al Faqi Al Mahdi risque jusqu’à 30 ans, mais si les trois magistrats s’en remettent à ces réquisitions, la défense ne fera pas appel. C’est une partie du deal passé entre les avocats du touareg malien et l’accusation, car cet ancien membre d’Ansar Dine a avoué, demandé pardon et surtout, coopéré avec le procureur. « Le chef d’orchestre » de l’attaque de neuf des Mausolées de Tombouctou et de la destruction de la porte de la mosquée Sidi Yahia, n’a pas commis un acte de « vandalisme, mais de violence contre l’âme de Tombouctou », affirme à la Cour Gilles Dutertre. Le substitut du procureur assure que l’accusé, originaire du nord Mali, « ne pouvait pas ignorer ce que les Mausolées représentaient » pour les habitants. Ahmed Al Mahdi a passé onze années à Tombouctou avant d’y revenir lorsque les djihadistes d’Ansar Dine et d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) s’emparent « la perle du désert », en avril 2012.
Le chef de la Hesbah
« Monsieur Al Mahdi, c’est la personne qu’Abou Zeid consulte lors de la création des organes de Tombouctou », rappelle Gilles Dutertre. Al Mahdi a noué des liens « de confiance et d’amitié avec le chef historique d’AQMI dont le passé criminel est connu », dit le magistrat français. Le sinistre gouverneur de Tombouctou, mort dans une attaque de l’armée française en 2013 et longtemps recherché pour son rôle dans la prise en otage des employés d’Areva, confie à Al Mahdi la tête de la Hesbah, la brigade des mœurs de la ville mise en coupe réglée par les groupes armés. Une police de la charia dans son interprétation la plus rigoriste. C’est à ce titre qu’il procède à la destruction, contre son propre avis dit-il. Interrogé sur le sort des Mausolées, Al Mahdi déclare qu’ils sont illégaux mais ajoute que rien dans le Coran ne justifie leur destruction. L’émir d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, ordonne néanmoins de les abattre et Al Mahdi s’exécute, fourni les hommes, les bèches et les barres de fer, prépare le prêche du vendredi, et justifie l’opération. « Une erreur » dit-il aujourd’hui. « Un crime contre la mémoire », pour le procureur. « Le patrimoine est ce que nous sommes, le prolongement de nous-mêmes. Sa destruction nous transforme en voyageur sans bagages, des êtres sans âme, sans espoir, sans mémoire ». Mais s’il ne demande pas la peine maximale, c’est aussi parce qu’Al Mahdi a coopéré avec le procureur. En septembre 2015, alors emprisonné à Niamey, au Niger, Ahmed Al Mahdi rencontre une première fois les enquêteurs de la CPI et raconte par le détail le processus qui a présidé à la destruction des Mausolées depuis sa prison. Il est alors emprisonné depuis un an, après son arrestation par des soldats français de la force Barkhane, dans un convoi transportant une tonne d’armements depuis le sud-libyen. « Il a pris l’initiative de se rapprocher de l’accusation », après son transfèrement à La Haye par les autorités du Niger, fin septembre 2016, « il a aussi fourni des informations importantes sur d’autres sujets dans le cadre de l’enquête que mène le bureau du procureur au Mali », affirme Gilles Dutertre. Une enquête initiée, à la demande du gouvernement malien, quelques jours après le début de l’opération française Serval en janvier 2013. Depuis, un seul mandat d’arrêt a été délivré, mais l’enquête se poursuit assure le bureau du procureur, « malgré la situation sécuritaire volatile sur le terrain ».
L’accusé menacé
Cette coopération, Al Mahdi l’a acceptée « alors que bien des menaces pourraient peser sur sa vie », ajoute Mohamed Aouini. Son défenseur tunisien revient sur le passé de l’accusé à Tombouctou. A partir de 2007, l’érudit est le vice-président de l’association islamique de la jeunesse, prononce des prêches d’une mosquée à l’autre, et fonde avec d’autre le centre d’éducation au Coran. Mais « les groupes armés se sont efforcés de le leurrer » et tentaient de le rallier depuis 2006, apprend-on de l’avocat. « Ils ont déversé des cadeaux, ordinateur, imprimante, et plus de 40 000 euros, pour qu’il puisse rembourser les dettes de sa famille. Voilà les conditions dans lesquelles il a rejoint le groupe », de son propre chef, précise néanmoins l’avocat tunisien. En détruisant les Mausolées, « il a cru faire une action respectable sur la base de son interprétation religieuse ». L’avocat rappelle que les Mausolées permettent aux plus faibles de se tourner vers des Saints, plus proches de Dieu. Mais que la question « est devenue un sujet de débat dans le monde musulman », faisant naître des approches diamétralement opposée. Celle des Soufis, favorables à l’idolâtrie des Saints et celle des wahhabites, « qui condamne cette approche et va jusqu’à punir les adeptes ». D’un voyage passé en Arabie Saoudite, Ahmed Al Mahdi est revenu plus proche des wahhabites. Mais aujourd’hui il reconnait le crime, « il demande votre pardon, le pardon des victimes » et invite même les Musulmans du monde à ne pas suivre sa route. « Impossible de s’engager dans une affaire comme celle-là sans tenter de comprendre cette perception du monde », enchaine maître Jean-Louis Gilissen. « La rencontre inévitable de deux ordres juridiques qui a un moment se heurtent » et « votre rôle est de permettre que la loi internationale prenne le dessus » dit-il aux juges. « Nous n’entendons pas être les défenseurs d’un programme, d’un système, d’une idéologie, ou d’un parti, nous défendons un homme ». Un homme « de conviction dans ses croyances, ancrée dans l’airain. » Mais qui doute, à en croire la défense. « Un homme de science, pas un imam », qui dans sa cellule de Scheveningen, se serait attelé à l’écriture de deux livres dont l’un dédié à la grammaire, selon une source à la Cour. « Jamais il n’a attaqué les Saints », précise l’avocat, ce sont les dômes qui ont été ciblés pas les tombes. Pour l’avocat belge, « il n’y a rien d’établi dans ce dossier, montrant la volonté de détruire une culture, une religion ». En détruisant les Mausolées, « c’est une pratique qui a été visée ». Et pour l’érudit, en charge de leur destruction, « c’est ce satané bagage intellectuel qui le pousse à rechercher la pureté… et on sait à quel point cette pureté est terriblement dangereuse ».
Une sentence inférieure à sept ans de prison
La défense plaide pour « une sentence clémente », et rappelle les précédentes condamnations prononcées par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), contre deux officiers de l’ancienne armée yougoslave, reconnus coupables du bombardement de la vieille ville de Dubrovnik, et condamnés à 7 et 8 ans de prison. Al Mahdi mérite moins, suggère la défense en rappelant qu’à Dubrovnik il y a eu mort d’hommes, et que les deux responsables étaient à la tête d’une armée. Rien de tout cela, pour celui qui, dans les mots de la défense, est passé de « conseiller » à « consultant ». Ce faisant maître Gilissen met la lumière sur les failles de l’accusation. Ahmed Al Mahdi n’a pas été poursuivi pour les persécutions infligées à la population de Tombouctou. Une plainte a été déposée contre lui à Bamako et contre ses complices, pour des viols et des persécutions. Et sur une vidéo, on peut voir l’accusé exécuter, fouet à la main, la sentence prononcée contre deux amants déclarés coupables d’adultère par le tribunal islamique. On aurait aimé savoir si Al Mahdi réprouvait cette décision et sa mise en œuvre ? S’il regrettait les tortures, les humiliations et les persécutions, qui ont fait le quotidien des habitants de Tombouctou ? Mais le dossier n’en dit rien. S’est-il « dévoyé » en détruisant les Mausolées ? Ou en alimentant de ses recherches la ligne idéologique d’un islam fondamentaliste ? Le procès n’a pas levé ces questions.