Impunité et exactions sexuelles : les lignes bougent en RDC, selon Trial

Impunité et exactions sexuelles : les lignes bougent en RDC, selon Trial©Marc Jourdier
Séance de thérapie pour les victimes de violences sexuelles à l'hôpital Panzi de Bukavu (RDC)
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Les exactions commises contre les populations civiles dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) se multiplient. A la suite du massacre perpétré dans la nuit du 13 au 14 août derniers à Beni, ville de la province du Nord-Kivu, et ayant fait une cinquantaine de victimes civiles, le procès de six hommes de nationalité ougandaise, congolaise et tanzanienne s’ouvre devant la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu. En parallèle, devant la cour militaire de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, se tient depuis le 12 août le procès de  sept hommes, dont quatre militaires congolais, accusés d’avoir joué un rôle dans le massacre de 37 membres de l’ethnie Bafulero le 6 juin 2014. L’ONG suisse TRIAL International qui s’est donnée pour mission de lutter contre l’impunité a supervisé un collectif d’avocats en charge des victimes de ce procès.

Guy Mushiata, coordinateur des droits humains en République démocratique du Congo (RDC) pour TRIAL International et basé à Bukavu répond aux questions sur les difficultés et les avancées du procès de Mutarule et de la lutte contre l’impunité des crimes sexuels dans la province du Sud-Kivu à l’est. En juin 2014, l’ONG s’était jointe à diverses ONG et organisations internationales afin de créer un protocole international (appelé aussi protocole britannique) unique mettant en place des normes de base et bonnes pratiques relatives aux enquêtes sur les violences sexuelles en tant que crimes internationaux.

Guy Mushiata

 

JusticeInfo Comment évaluez-vous les retombées en termes d'investigation et de procédure du protocole international des enquêtes sur les violences sexuelles rédigé en 2014. Permet-il de faciliter la documentation de ces crimes et d'assister plus facilement les victimes ?

Guy Mushiata Le Protocole est en quelque sort l’abécédaire du praticien : il accroît l’efficacité du travail de terrain mené par les ONG, tout en répondant aux besoins du système de justice. Ses retombées sont plurielles. On les mesure tout d’abord auprès des acteurs locaux, les ONG locales, notamment qui apprécient d’avoir enfin les outils et une méthodologie véritablement adaptée à leur travail auprès des victimes de violences sexuelles. Les acteurs judiciaires (avocats et magistrats), apprécient quant à eux la dimension pratique des techniques d’enquête proposées par le Protocole.

On mesure aussi ses retombées dans le cadre de procédures, en particulier au niveau de l’administration de la preuve. La méthodologie du Protocole permet en effet d’identifier et de récolter les éléments de preuve nécessaires à une action en justice, tout en assurant un strict respect de la chaîne de traçabilité. Le modèle de certificat médical recommandé par le Protocole permet par exemple de mieux décrire la violation subie et d’appréhender ses conséquences physiques et psychique sur la victime. Ce certificat pourra ensuite avoir valeur de preuve dans le cadre d’un procès. C’est une avancée importante pour les victimes !

Sur le terrain, tel que vous l'appréhendez à Bukavu, comment est accueilli votre travail de lutte contre l'impunité des crimes sexuels ? Avez-vous un sentiment que les mentalités évoluent vers une prise de conscience de la nécessité de libérer la parole des victimes, d'enquêter et de poursuivre ?

A Bukavu, nous évoluons dans un contexte complexe. Les mentalités tout comme la justice sont en train de changer au Sud-Kivu, mais il reste encore du chemin à faire. D’un côté, la société civile condamne très unanimement les violences sexuelles et aspire à voir les victimes dé-stigmatisées. Mais de l’autre, la réalité judiciaire est autre et les organes de poursuite appliquent trop souvent encore un système de « deux poids deux mesures », en fonction du rang et de la qualité du présumé auteur. Il y a des avancées prometteuses, mais le système judiciaire reste entaché de dysfonctionnements qui freinent la lutte contre l’impunité.

C’est pour cela que TRIAL mène son travail sur plusieurs fronts : l’aide juridique aux victimes de graves violations, le renforcement des capacités d’avocats et d’ONG locales, l’avancée de la jurisprudence. Ces derniers volets sont indispensables à l’évolution des mentalités et des pratiques des institutions. La lutte contre l’impunité demeure un sujet sensible, mais notre travail est dans l’ensemble bien accueilli.

Très récemment, on a vu débuter le procès de sept hommes devant une cour militaire pour le massacre ethnique de Mutarule commis dans la nuit du 6 au 7 juin 2014. On peut constater une célérité relative dans cette procédure, faut-il y voir justement une réelle volonté de prévenir de tels massacres dans cette région ? Dans le cadre de votre travail au sein de Trial International, avez-vous pu constater les bénéfices de ces procédures locales/nationales ?

Le procès pour le massacre de Mutarule s’est ouvert le 12 août et se poursuit à ce jour. Sa relative célérité se justifie à mon sens par une synergie de trois variables : le dynamisme de la communauté des victimes de Mutarule, l’implication du gouvernement central et la pression récurrente de la communauté internationale. Ces variables ne sont pas forcément toujours toutes réunies, mais il arrive qu’elles le soient. Les récents et tragiques massacres survenus à Béni témoignent du fait que de nouveaux crimes de masse continuent d’être commis, mais qu’ils suscitent pourtant une forte mobilisation et une forte volonté de justice. Chaque procès qui s’ouvrira amènera donc une pierre à l’édifice de la justice et de l’état de droit en RDC. A ce titre, les procédures locales et nationales sont fondamentales pour lutter contre l’impunité, et à plus d’un titre. Ces procédures se déroulent souvent à proximité des populations touchées par ces drames, rendant la justice plus palpable pour elles. C’est d’autant plus fort lors d’audiences foraines où la Cour se déplace sur les lieux du crime – comme c’est le cas à Mutarule. Malheureusement, le nombre de poursuites reste encore faible au regard du nombre de violations commises et ceci n’envoie pas le bon signal pour prévenir la commission de nouveaux crimes. D’où l’intérêt d’intégrer à la stratégie de lutte contre l’impunité en RDC, le recours à des mécanismes supra nationaux lorsque les démarches nationales sont bloquées. On fait ainsi bouger les lignes de la lutte contre l’impunité à tous les échelons et de manière plus efficace.

Quels sont les défis demeurant dans l'accès à la justice pour les victimes des conflits à Bukavu ? Existe-t-il un barreau efficace notamment permettant d'assurer des consultations juridiques adaptées aux besoins des victimes des crimes les plus graves ? Quel rôle peut jouer une ONG telle que Trial International ?

Un barreau existe à Bukavu, au sein duquel plusieurs avocats fournissent une assistance de qualité aux victimes comme aux prévenus dans des affaires relatives aux crimes graves. Le barreau a aussi mis sur pied une permanence gratuite et effectue des missions à l’intérieur de la province. Mais son action demeure limitée et dépend beaucoup de soutiens internationaux.

D’autant que l’accès à la justice reste un chemin semé d’embûches et que les défis sont nombreux. Les victimes et plus généralement la population rurale ignorent souvent comment recourir à la justice et comment celle-ci fonctionne. Ils ignorent aussi plus généralement leurs droits ! La taille du territoire est aussi un obstacle, car les crimes sont souvent commis très loin des parquets et des juridictions. Cela rend le contact entre les victimes et les fonctionnaires de justice plus compliqués, voir parfois impossible. Sans parler des frais de justice, hors de portée pour la plupart des victimes. Certaines contingences sont d’ordre logistique, mais d’autres, propres au système de justice et c’est là que les défis sont les plus grands : il faut s’assurer que les auteurs de crimes socialement hauts-placés ne puissent jouir d’impunité, que les décisions judiciaires soient pleinement exécutées et que les victimes obtiennent réparation. Ces défis permettront à la justice en RDC de remplir ses fonctions : préventive, punitive et réparatrice.

Depuis 2015, TRIAL International œuvre en ce sens grâce à un programme complet. Notre travail sur l’assistance judiciaire permet en effet d’accroître la qualité des procès dans lesquels nous soutenons les victimes. Nous offrons aussi coaching avant, pendant et après le procès aux avocats du barreau de Bukavu, afin de les aider à mieux faire entendre les voix des victimes. Le soutien que nous apportons enfin aux ONG locales lors de leurs enquêtes avec des parquets militaires et civils abouti au renforcement d’investigations officielles. Petit à petit nous tentons de faire se redistribuer les cartes de la justice en RDC. Cela fait 18 mois que nous sommes actifs en RDC et ce sont 158 victimes qui ont pu accéder à une assistance juridique gratuite depuis lors, dont deux-tiers de femmes. Nous avons mené 20 missions de documentation des violences sexuelles, formé 50 défenseurs des droits de l’homme et 15 avocats. C’est un travail de fourmi, mais qui porte ses fruits et nous encourage à poursuivre notre combat.

Note de justiceInfo.net :  nous avons remplacé la photographie qui illustrait précédemment cet article et qui ne correspondait pas à cette interview

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