Alors qu'ils ne figuraient pas au dossier initial, les crimes sexuels devraient se trouver au centre du prochain procès de l'Ougandais Dominic Ongwen, un ex-commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI). Qualifiées de crimes de guerre et / ou crimes contre l'humanité, ces violences sexuelles et à caractère sexiste occupent une part importante du mémoire préalable déposé par l'accusation, le 6 septembre, à trois mois de la date prévue pour l'ouverture du procès.
Mariage forcé, viol, torture, bastonnade et autres supplices étaient le lot quotidien des femmes au sein de l'Armée de résistance de résistance du Seigneur (LRA), notamment au sein de la brigade Sinia qui était, selon la procureure Fatou Bensouda, commandée par Ongwen. «La pratique des abus sexuels contre les femmes et les filles au sein de la LRA constitue l'une des caractéristiques de l'organisation», écrit la procureure, dans ce mémoire en anglais. Au sein de ce groupe rebelle ougandais né dans les années 1980, « les femmes étaient traitées comme du butin de guerre, distribuées comme récompense sans autre forme de procès comme s'il s'agissait d'animaux ou d'objets inanimés », poursuit-elle.
Originaire de Gulu, dans le nord de l'Ouganda, Dominic Ongwen, environ la quarantaine aujourd'hui, a été capturé par des éléments de la LRA alors qu'il était sur le chemin de l'école. Il était alors âgé d'une dizaine d'années, selon sa famille. Devenu adulte, il a gravi de façon fulgurante les échelons au sein de l'organisation jusqu'à sa promotion en 2004 au rang de commandant de la brigade Sinia, l'une des plus redoutables de la LRA, selon l'accusation.
« Au niveau de la brigade Sinia, Ongwen coiffait la structure à travers laquelle étaient perpétrés enlèvements, mariages forcés, viols, tortures, esclavages sexuels », soutient Fatou Bensouda dans son mémoire préalable au procès qui doit démarrer, sur le fond, le 6 décembre prochain.
Ongwen, qui a plaidé non coupable lors de sa première comparution début 2015, est le premier responsable de la LRA à faire face à la CPI. La Cour recherche trois autres membres du haut commandement de l'organisation, parmi lesquels Joseph Kony, chef spirituel de ce mouvement armé.
Fatou Bensouda affirme que Dominic Ongwen distribuait femmes et filles en guise de récompenses à ses meilleurs combattants qui en jouissaient comme bon leur semblait.
Ongwen « a commis ces crimes pendant plus de 10 ans »
Mais sa responsabilité ne s'arrête pas là, selon ce mémoire préalable. «Il a directement perpétré les crimes sexuels et autres crimes contre toutes ses femmes forcées. Il a commis ces crimes pendant plus de 10 ans. »
La procureure soutient par ailleurs que l'accusé battait souvent les nombreuses femmes qu'il avait prises par la force ou chargeait des hommes de son escorte de leur infliger des bastonnades publiques. Elles subissaient ce supplice par exemple pour n'avoir pas fait son lit ou pour avoir donné de la nourriture à d'autres femmes pendant qu'elles préparaient son repas, ou simplement parce qu'elles lui paraissaient sales. Lorsque la tâche de les battre était confiée à des éléments de sa garde rapprochée, Ongwen se tenait assis et assistait avec plaisir.
Parmi ces femmes, la procureure mentionne notamment celle désignée, dans le document, par le nom de code P0226, et que l'accusé aurait épousée de force alors qu'elle n'avait que 10 ans. Battue à coups de bambous par les gardes de son seigneur et maître pour avoir tenté de s'opposer à ce mariage forcé, elle avait fini par se résigner à son sort. Ongwen lui-même la fouettait souvent pour un oui ou un non, selon Fatou Bensouda, qui affirme qu'il l'a rouée de coups un jour parce qu'il la soupçonnait de faire les yeux doux à un membre de son escorte. Un autre jour, elle aurait même été forcée à battre à mort un soldat de l'armée régulière capturé lors de combats.
Ces violences sexuelles et brimades à caractère sexiste n'apparaissaient pas dans le dossier initial. Elles n'étaient pas mentionnées dans le mandat d'arrêt délivré contre Ongwen en 2005. C'est lors d'une conférence de mise en état en mai 2015, quelques mois après l'arrestation de cet ancien commandant de la LRA, que l'équipe de l'accusation a annoncé qu'elles allaient être ajoutées au dossier, au terme d'enquêtes qui n'étaient pas encore bouclées. Avec l'autorisation de la chambre, ces charges supplémentaires, aujourd’hui détaillées dans le mémoire préalable au procès, ont été rajoutées à l'acte d'accusation avant l'audience de confirmation de charges en janvier dernier.
Des violences souvent passées sous silence
Dans « le résumé analytique » de son «document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste » publié en juin 2014, le bureau de Fatou Bensouda reconnaît « les difficultés et les entraves rencontrées pour mener efficacement des enquêtes et des poursuites dans le cadre » des violences de ce genre, qui sont « peu dénoncées, voire passées sous silence pour des raisons sociétales, culturelles ou religieuses ».
Lors d'un colloque organisé en novembre 2015, à La Haye, en marge de l'Assemblée des Etats - Parties au Statut de Rome créant la CPI, le magistrat ougandais Mike Chibita a témoigné de la situation dans son pays. « De nombreuses communautés rurales ne peuvent pas comprendre qu'un homme soit poursuivi, ou pire encore, emprisonné, pour une infraction sexuelle ou à caractère sexiste. Traditionnellement, tout auteur d'infraction sexuelle ou à caractère sexiste épouse sa victime qu'il reçoit comme épouse en échange du paiement du prix de la fiancée », a –t -il déploré, décrivant une tradition en vigueur dans plusieurs sociétés africaines.
Les ONG qui militent depuis des années pour que la justice pénale internationale prenne les crimes sexuels en compte ne manqueront pas de saluer cet amendement de l'acte d'accusation contre Dominic Ongwen.
Déjà, Human Rights Watch (HRW) a fait part de sa satisfaction, en mars dernier, lorsque le sénateur et richissime homme d'affaires congolais Jean-Pierre Bemba a été déclaré coupable, entre autres crimes, de viols commis en Centrafrique par des éléments de son ancienne rébellion du Mouvement de libération du Congo (MLC). La CPI sanctionnait ainsi, pour la première fois de son histoire, l'utilisation de viols et de violences sexuelles en tant que crimes de guerre.
Dans l'affaire Ongwen, la responsabilité alléguée est plus lourde car l'ancien commandant de la LRA est accusé d'avoir donné l'exemple à ses subalternes, en commettant lui-même ces crimes, sur un grand nombre de femmes et pendant plusieurs années.