Poursuivis pour leur rôle présumé dans la préparation et / ou l’exécution du génocide des Tutsis de 1994, ils ont été extradés de pays tiers ou renvoyés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui a fermé ses portes fin 2015. Et presque tous accusent le gouvernement rwandais de leur refuser les moyens nécessaires à leur défense. Le ministère de la Justice, qui gère l’aide légale, nie.
Remis aux autorités rwandaises en avril 2012, le pasteur pentecôtiste Jean Uwinkindi est le premier accusé du TPIR renvoyé vers la justice de son pays d’origine. Les juges du TPIR ont décidé de transférer l’homme d’église après avoir obtenu des assurances du Rwanda que l’accusé y bénéficierait d’un procès équitable. A son arrivée à Kigali en provenance du centre de détention du TPIR à Arusha, en Tanzanie, deux avocats rwandais, Gatera Gashabana et Jean - Baptiste Niyibizi, sont commis pour sa défense. Les deux défenseurs sont d’abord payés par heure de prestation, puis sur la base d’un contrat mensuel signé avec le ministère de la Justice. Le système paraît bien fonctionner. Jusqu’au jour où le ministère instaure un montant forfaitaire de 15 millions de francs rwandais (environ 19.000 dollars américains) pour toute affaire renvoyée du TPIR ou d’un pays tiers, dans le cas d’un accusé considéré comme indigent. Les deux avocats refusent de signer le nouveau contrat. Plusieurs discussions s’en suivront avec le ministère mais sans faire fléchir Mes Gashabana et Niyibizi qui affirment être dans l’impossibilité de mener les enquêtes à décharge. «Le ministère de la Justice refuse sans motifs d’allouer à l’équipe de défense les fonds susceptibles de lui permettre d’entrer en contact avec les témoins à décharge », accusent les conseils du pasteur dans une requête adressée en septembre 2013 au président du Mécanisme de l’ONU pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI). Pour ce motif, la défense de l’homme d’église demande, dans cette requête, l’annulation de la décision de renvoi de l’affaire vers la justice rwandaise. La requête sera rejetée par le MTPI, qui espère alors que la défense et le ministère de la Justice parviendront à un accord.
En janvier 2015, faute de compromis, Mes Gashabana et Niyibizi claquent la porte. Le barreau de Kigali désigne deux nouveaux avocats mais le pasteur refuse même de les rencontrer. Ainsi, jusqu'à la fin des débats en première instance, ces nouveaux conseils n’interviendront ni pour interroger les témoins ni pour présenter les conclusions finales, au nom de l’accusé. Le 30 décembre 2015, le pasteur Uwinkindi est condamné à la prison à vie, notamment pour avoir, selon le jugement, fait exécuter des Tutsis qui avaient cherché refuge dans son église de Kayenzi, dans l’est du Rwanda, en avril 1994. Son procès se trouve aujourd’hui en appel.
Un contrat « très dérisoire »
Depuis mars dernier, l’ex-chef de milice Bernard Munyagishari, deuxième accusé du TPIR remis aux autorités rwandaises, boycotte son procès, en guise de protestation contre ce qu’il qualifie lui aussi de violation de son droit à l’aide légale. Il a pris sa décision après le retrait de ses avocats, John Hakizimana et Jean Baptiste Niyibizi, qui dénonçaient un contrat « très dérisoire ». La Cour suprême a entériné leur remplacement par deux nouveaux avocats que l’accusé ne veut cependant pas voir à ses côtés.
Selon les calculs des avocats en désaccord avec le ministère de la Justice, le contrat forfaitaire de 15 millions de francs rwandais signifie, pour une affaire qui durerait cinq ans avec la participation de deux conseils, près de 125.000 rwandais par avocat par mois (soit moins de 200 dollars américains).
Le troisième accusé du TPIR remis aux autorités rwandaises, l’ancien maire Ladislas Ntaganzwa, a atterri à Kigali en novembre 2015. Emboîtera-t-il le pas au pasteur et au chef milicien ?
S’agissant des accusés transférés de pays tiers, c’est l’affaire Léon Mugesera qui a défrayé la chronique. Dans les premières semaines suivant son extradition du Canada en janvier 2012, c’est la famille de l’accusé qui paye les honoraires de son avocat, Donat Mutunzi. Mais des arriérés s’accumulent par la suite, obligeant l’avocat rwandais à abandonner l’affaire. Le célèbre linguiste fait alors valoir son droit à l’aide légale, mais, refuse, selon le ministère de la Justice, à se plier à la procédure qui veut que le demandeur remplisse un formulaire ad hoc. L’universitaire affirme avoir déjà signé, au Canada, un affidavit prouvant son indigence, un document figurant, selon lui, au dossier renvoyé au Rwanda. L’accusé et le ministère ne parviendront jamais à accorder leurs violons. Et conséquence ? L’affaire sera conclue en première instance sans audition de témoins à décharge, ni plaidoiries de la défense. Le 15 avril dernier, le célèbre universitaire se voit infliger la prison à vie, après avoir été reconnu coupable d’incitation publique à commettre un génocide à travers un discours en langue rwandaise prononcé le 22 novembre 1992, à Kabaya, dans le nord du Rwanda.
Souci d’harmonisation
En revanche, dans le dossier de Charles Bandora, premier accusé de génocide extradé au Rwanda par un pays européen, la question de l’aide légale ne semble pas s’être posée. Extradé de Norvège en mars 2013, cet ex-homme d’affaires, dont le procès se trouve aujourd’hui en phase d’appel, a été condamné à 30 ans de prison, en mai dernier, après avoir été reconnu coupable de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité. Défrayés dans la cadre de l’assistance juridique, ses avocats ne se sont jamais plaints.
Dans sa décision du 22 octobre 2015 concernant le recours du pasteur Uwinkindi, le MTPI relève d’ailleurs qu’au Rwanda, plus de 60 avocats qualifiés sont disposés à adhérer à ce système de paiement forfaitaire. La décision ajoute que le pasteur, « en tant qu'accusé indigent, n'avait pas le droit de choisir son conseil », et que « le remplacement des conseils initialement nommés ne constitue pas une entrave à l'équité du procès ». «L’aide légale est plus un principe qu’un problème de montant », renchérit Mackline Ingabire, directrice de la Justice internationale et de la coopération judiciaire au ministère de la Justice. Elle explique que le mode de paiement forfaitaire a été instauré dans un souci d’harmonisation et surtout pour « inciter les parties à travailler rapidement ».