Impuissant face à la recrudescence des violences meurtrières, le nouveau gouvernement centrafricain peine à convaincre de l’efficacité de ses stratégies. Des voix au sein de la société civile crient déjà à l’abandon de la population tandis que l’opposition dénonce une sorte d’amateurisme et de cafouillage de la part du président Faustin - Archange Touadéra.
C’est pour « éclairer la lanterne de l’opinion tant nationale qu’internationale sur la position du gouvernement » sur les événements sanglants des 16 et 17 septembre derniers dans la ville centrale de Kaga-Bandoro, que le ministre centrafricain de l’Equipement, de l’aviation civile et du désenclavement, Théodore Jousso, qui est également porte-parole du gouvernement, a convoqué une conférence de presse mercredi 21 septembre à Bangui. Même si le bilan n’est pas encore clairement établi, les médias locaux s’accordent pour affirmer qu’il s’agit de l’un des pires carnages depuis l’élection du président Touadéra au début de l’année. Des éléments de l’ex-rébellion Séléka auraient dirigé leurs armes contre des civils suite à des informations faisant état du regroupement, dans les environs de Kaga-Bandoro, de combattants de la milice rivale Antibalaka.
La Séléka est une coalition de rebelles qui a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013. Impliqués dans de nombreuses exactions contre la population, les rebelles de cette nébuleuse ont dû faire face aux milices d’auto-défense Antibalaka, qui, à leur tour, se sont livrées à des violences.
Pour le ministre, ces « événements survenus à Kaga-Bandoro, s’inscrivent dans la droite ligne d’un processus de déstabilisation orchestré par les ennemis de la paix ». Et le porte-parole du gouvernement de fustiger ces « compatriotes mal intentionnés (qui) choisissent délibérément de troubler l’ordre public afin de jeter le discrédit sur notre pays ». Accusant des miliciens Antibalaka d’actes de provocation délibérée, le ministre s’est montré plus dur à l’endroit de l’autre milice. « Les violences inouïes commises de manière aveugle par les ex-Sélékas en réaction aux comportements des Antibalakas constituent, à n’en point douter, une grave atteinte aux lois de la République et sont passibles d’une poursuite devant la Cour pénale internationale (CPI) ».
Présent aux côtés de Jousso, le porte-parole de la Mission de l’ONU en Centrafrique (MINUSCA), Vladimir Monteiro, a rappelé que les Casques bleus étaient intervenus pour faire baisser la tension et avaient pris des mesures de sécurisation.
« Les populations sont abandonnées »
Ni les propos du ministre, ni ceux de Monteiro ne rassurent Gervais Lakosso, coordonnateur du Groupe de travail de la société civile centrafricaine (GTSC). « Les populations centrafricaines sont abandonnées par ceux que le peuple a élus » et ceux qui ont « prétendu venir dans le pays pour défendre le peuple», a affirmé Lakosso cité par le site internet de Radio Ndeke Luka. Dressant un bilan peu reluisant de la MINUSCA qui célèbre son deuxième anniversaire, l’activiste a poursuivi : « Protéger la population civile, c'est marqué dans leur mandat (…) Mais lorsque les populations civiles sont tuées, ils ne se contentent que de déclarations ». Pour lui, les déclarations ne doivent servir d’outil de travail qu’aux organisations de la société civile qui, contrairement à la MINUSCA, ne peuvent faire usage de la force.
L’ancien président de la Banque de développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC), Anicet Georges Dologuelé, battu par Touadéra au deuxième tour de l’élection présidentielle, constate, lui aussi, une vertigineuse recrudescence des actes de violences, situation qu’il attribue à l’absence d’un agenda clair de la part de son adversaire d’hier. « Aujourd’hui, il y a l’insécurité un peu partout dans le pays, on parle de Kaga Bandoro, de Kouango, il y a Bangassou qui est en passe d’être attaqué, dans le nord- ouest beaucoup de villes et villages sont occupés et le pays est en train d’être envahi par les bandes armées », fulmine Dologuélé, dans un entretien avec le Réseau des journalistes de Centrafrique pour les droits de l’Homme (RJDH). « La question est de savoir pourquoi cela se passe ainsi ? Pourquoi, brusquement en quelques semaines, en quelque mois, on revit ce cauchemar que les Centrafricains ont vécu, il y a trois ans ? », demande Dologuélé, qui est aujourd’hui président de l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), l’un des principaux partis de l’opposition.
« Ne mettez pas la population en danger »
Le candidat malheureux reproche au président Touadéra de s’être empressé de rencontrer les chefs des groupes armés alors qu’il n’avait pas de feuille de route à leur proposer. En conséquence, estime-t-il, ces groupes armés sont de plus en plus impatients. « Le président a mis le pays en danger (…) Quand on reçoit les responsables des groupes armés, c’est pour leur proposer des solutions. Mais il les reçoit avant la mise en place du gouvernement. Ils ont peut-être cru que c’était une consultation pour faire partie du gouvernement. Le président Touadéra met le pays en danger avec ses improvisations », assène-t-il.
Selon Dologuélé, le nouveau président s’est ainsi condamné lui-même à négocier avec ces groupes rebelles qui se réorganisent alors qu’il n’a pas les moyens de les défaire. « Maintenant, il faut rattraper car rien n’est jamais perdu. Quand vous avez les groupes armés en face, soit vous avez la force, vous les écrasez, soit vous n’avez pas de force, vous dialoguez. Mais ne mettez pas la population en danger ».
Mais à la différence de Gervais Lakosso, le président de l’URCA s’insurge contre un certain « populisme » consistant à rejeter la responsabilité de ce regain de violences sur les forces de l’ONU accusées d’inaction. « Le gouvernement doit savoir comment déclencher le processus d’intervention des forces. Il ne faut pas faire du populisme (…) Il faut plutôt prendre le temps de voir avec les forces de la MINUSCA dans quelles conditions elles doivent intervenir pour arrêter ces violences », indique-t-il, soulignant l’importance d’un « travail organisé ».