La Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie a présenté le 19 septembre au Conseil des droits de l’Homme un rapport pour le moins accablant sur les événements du 10 janvier au 20 juillet 2016. Créée par une résolution d’août 2011 avec pour mandat d’enquêter sur toutes les violations du droit international humanitaire dans le pays, la Commission rappelle, dans ses conclusions, l’urgence pour le Conseil de sécurité de l’ONU, de référer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI).
La Commission déplore d’emblée le fait de s’être vue refuser l’accès au territoire syrien. C’est donc en se basant sur des entretiens menés dans la région et depuis Genève – notamment auprès de réfugiés − corroborés par des éléments de preuve académique, médicaux, photographiques et satellitaires notamment, qu’elle a pu établir son rapport.
Violations graves du droit international humanitaire par différentes parties au conflit
Alors qu’une légère amélioration de la situation avait été notée en début d’année après des accords de cessez-le-feu et la création de couloirs humanitaires, les combats ont repris de plus belle en mars, faisant cinq millions de réfugiés selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).
Selon la Commission d’enquête, les déplacés internes sont parmi les personnes les plus vulnérables aux violations des droits humains, les camps où ils viennent chercher refuge étant trop souvent la cible d’attaques.
Près de 600 000 civils subissent l’état de siège prolongé à Damas, Deir-Ezzor, Homs et la province d’Idleb dans des conditions brutales. L’Etat Islamique (EI) a pour sa part assiégé les alentours de Deir-Ezzor, et, avec l’aide d’autres groupes non étatiques, encerclé Al Foua et Kafria dans la région Idleb en mars 2015.
Si l’accès à l’aide humanitaire dans ces régions s’est amélioré, l’absence de coopération des parties au conflit continue d’engendrer la malnutrition, faisant de plus en plus de morts, indique le rapport, en rappelant que le droit international interdit l’usage de la famine comme méthode de guerre. La Commission dénonce par ailleurs le refus de mise en place de voies d’évacuation pour les civils pris dans les zones assiégées. Notamment les 300 000 civils bloqués à l’est d’Alep, les forces gouvernementales ayant coupé en juillet la route de Castello, seule voie restante permettant de relier Alep à la Turquie. En outre, des civils étaient restés à Manbij lors des combats entre l’EI et les Forces démocratiques syriennes.
Les violations du droit international humanitaire sont systématiques, et les civils sont ciblés par les parties au conflit, qui semblent en avoir fait la principale méthode de guerre. Ainsi, les hôpitaux et unités médicales pourtant zones protégées, mais aussi les médecins et autres travailleurs de la santé ont été attaqués. Le fait même de porter assistance aux blessés fait d’eux des cibles, en violation des conventions internationales.
La Commission cite de nombreux cas l’explosion de bombes au mois de juin près de l’hôpital d’Al Bayan et de l’hôpital pédiatrique Al Hakim dans la ville d’Alep. Le rapport énumère plusieurs attaques par menées par les forces gouvernementales contre des structures hospitalières sur le territoire syrien au moment où aucune cible militaire ne se trouvait près de ces hôpitaux : autant de violations délibérées des normes internationales, selon la Commission.
Des conditions de détention inhumaines
La Commission a aussi pu s’enquérir des violations graves de droits humains dans les centres de détention. Elle rapporte des cas d’exécutions sommaires, et de morts en détention, sans que les familles des défunts soient informées. La Commission fait par ailleurs état de décès de nature systématique et massive, sans qu’aucune enquête gouvernementale n’ait lieu, ce qui prouve une fois de plus la commission de crimes contre l’humanité.
Le rapport rappelle que le gouvernement syrien et, en particulier ses services de renseignement, se livrent à des actes de torture systématique à l’encontre des personnes détenues. Hommes, femmes et enfants sont visés parce que soupçonnés de ne pas soutenir suffisamment le régime.
S’agissant des questions de violence sexuelle, celles-ci sont plus compliquées à rapporter dès lors que les victimes, lorsqu’elles sont disposées à en parler auprès d’enquêteurs, le font souvent des mois, voire des années après. Néanmoins, la Commission d’enquête a pu collecter des récits de viols sur des femmes ou des hommes dans les centres de détention - comme celui de Hama, ou des menaces de viols.
Le cas des groupes non- étatiques
S’agissant des exactions perpétrées par l’EI, le rapport mentionne une série d’attentats - suicide près des hôpitaux en mars à Jableh notamment.
Par ailleurs, des civils ayant pu s’échapper des centre de détention de l’EI à Alep et Raqqa, relatent avoir été systématiquement torturés. Par ailleurs, des hommes ou des femmes ont été publiquement fouettés ou amputés de membres de leur corps pour avoir enfreint les règles imposées par l’EI. La Commission rapporte également plusieurs cas de mariages forcés et d’esclavage sexuel. Sans oublier des enfants enrôlés de force dans les groupes armés lorsqu’ils ne trouvent pas la mort lors d’attaques indiscriminées.
Lors des échanges qui ont suivi la présentation du rapport au Conseil des droits de l’Homme, la délégation de Damas a dénoncé les attaques aériennes menées ces derniers jours par la France et des États-Unis en territoire syrien. La partie syrienne a déploré que ces attaques ne soient pas évoquées par la Commission d'enquête alors qu’elles ont, selon Damas, causé des pertes humaines et permis à l’EI de gagner du terrain. La plupart des autres gouvernements représentés au débat ont salué le travail de la Commission et appuyé, en particulier, la demande faite au Conseil de sécurité de déférer la situation en Syrie à la CPI.