Une femme basque espagnole actuellement détenue à Berne, en Suisse, Nekane Txapartegi, est réclamée par la justice de son pays d’origine qui l’a condamnée en son absence pour collaboration avec l’ETA, une organisation qui serait responsable, selon Madrid, de la mort de plus de 800 personnes. Mais cette Espagnole, qui a réussi à fuir son pays avant le verdict, affirme avoir été condamnée sur la foi d’aveux extorqués lors de sa détention au secret dans les geôles de son pays. La Suisse va-t-elle l’extrader?
Les aveux lui auraient été arrachés sous la torture en 1999. C’est en tout cas, ce qu’affirme Mikel Egibar, un ancien co-détenu fraîchement sorti de prison. « Les gardes m’ont fait répéter encore et encore une déclaration qui nous accusait Nekane et moi. A chaque fois que je changeais de discours, j’étais plaqué à terre et tabassé », raconte l’ancien prisonnier joint au téléphone dans son village basque. A en croire les auditions de son procès espagnol disponibles sur Youtube, Nekane a, en plus, subi des sévices sexuels dans le sous-sol d’un commissariat de police à Madrid, avant d’être relâchée sous caution. Comme Mikel, elle a été victime d’une détention « incommunicado », qui permet en Espagne, dans le cadre d’affaires liées au terrorisme, d’interroger les prévenus pendant une période pouvant s’étendre jusqu’à 5 jours, voire même 10 dans des cas extrêmes, sans qu’ils aient de contacts avec le monde extérieur. Cette procédure a fait l’objet de vives critiques des Nations Unies et du conseil européen de prévention de la torture (CPT).
Malgré des descriptions qui font froid dans le dos, le juge en charge de l’affaire, balaiera le témoignage de Nekane d’un revers de la main. Et en 2005 elle est condamnée à six ans et neuf mois de prison pour collaboration avec une organisation terroriste, dans un procès collectif. Quarante-six autres co-inculpés se voient également condamnés. Mais, lorsque le verdict tombe, Nekane Txapartegi, qui ne se faisait point d’illusion sur le verdict et avait comparu libre pendant le procès, a déjà réussi à quitter le territoire espagnol. Elle sera arrêtée en avril dernier à Zürich, sur le territoire suisse.
Pratiques plus que musclées
En juin dernier, le gouvernement basque a sorti un rapport, qui détaille plus de 4000 cas de tortures entre 1960 et 2013 commis par les autorités espagnoles. Parmi eux, ceux de Nekane Txapartegi et Mikel Egibar. Le document décrit une pratique quasi-systématique de la torture.
Un rapport qui ne surprend pas Jean-Pierre Restellini, médecin légiste, expert pour le Conseil de l’Europe et ancien président de la Commission nationale suisse pour la prévention de la torture. « La Guardia Civil espagnole est connue pour ses pratiques plus que musclées. La torture de cette jeune femme ne fait malheureusement à peu près aucun doute. Les sacs sur la tête, électrodes et même parfois les violences sexuelles étaient une pratique courante », affirme Jean-Pierre Restellini. L'expert s’est lui -même rendu dans des prisons espagnoles dans les années 90 pour le compte du Comité européen de prévention de la torture.
Gerald Staberock, secrétaire général de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), abonde dans le même sens, appelant la Suisse à la prudence. «Le problème de cette affaire, c’est qu’il y a un fort risque que la condamnation en Espagne de Madame Txapartegi ait été basée essentiellement sur des aveux obtenus sous la torture. Si c’est le cas, la Suisse ne peut pas extrader, ce serait contraire au droit international et à l’article 6 de la Convention de la Cour européenne des droits de l’Homme».
Interrogé, le porte-parole de l’Office fédéral de la justice (OFJ), Folco Galli, refuse de s’exprimer en détail sur un cas en cours, mais en indiquant que son département doit encore se prononcer sur le soupçon de torture, élément clé de cette affaire.
Tergiversations à Berne
L’équation est de taille pour la Suisse. Membre à part entière du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’Espagne est un partenaire privilégié et un refus d’extradition aurait tout l’effet d’un camouflet diplomatique à Madrid. Ce qui expliquerait les tergiversations de Berne, selon Maître Olivier Peter, l’avocat genevois de Nekane Txapartegi. « Madame Sommaruga (la ministre de la justice suisse) est gênée par cette procédure car reconnaître la torture revient à contredire la version officielle fournie par un gouvernement européen. Mais compte tenu des preuves et des rapports internationaux produits, si la demande d’extradition provenait de la Turquie ou d’un Etat de l’est, Madame Txapartegi serait déjà libre depuis longtemps».
Contacté, le service de presse du gouvernement à Madrid rétorque que l’Espagne « est un état de droit dans lequel la torture est interdite ».
La jurisprudence de la Cour européenne semble en tout cas formelle: une personne ne peut être extradée lorsque son jugement a été entaché de graves erreurs procédurales. Les aveux sous la torture en font évidemment partie. La Suisse a-t-elle vraiment le choix ?