ONU/Union africaine : Rejeter l’appel au retrait de la CPI | Human Rights Watch(New York) – L’Union africaine (UA) devrait, en amont d’une réunion avec le Conseil de sécurité des Nations Unies prévue le 23 septembre 2016, abandonner son projet d’appeler au retrait massif de ses membres de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré aujourd’hui un groupe d’organisations non gouvernementales africaines et d’organisations internationales ayant une présence en Afrique.
En janvier, l’UA a décidé de mandater son Comité à composition non limitée sur la CPI pour élaborer une « stratégie globale » incluant le retrait de la CPI. Le Comité s’est réuni le 11 avril et a identifié trois conditions qui, selon lui, devraient être remplies pour que l’UA n’appelle pas au retrait. Ces conditions incluaient une demande d’immunité accordée aux chefs d’État en fonction ainsi qu’aux hauts fonctionnaires déférés devant la CPI.
« Les efforts de l’UA pour déstabiliser le seul tribunal pénal permanent pour les victimes d’atrocités sont fondamentalement en désaccord avec le rejet de l’impunité de l’UA et avec sa décision de faire de 2016 son année des droits humains », a déclaré Stella Ndirangu de la section kenyane de la Commission internationale de juristes. « L’engagement de l’UA en faveur de la justice ne peut pas être concilié avec la protection des dirigeants africains et d’autres continents face à la responsabilisation pour des atrocités de masse devant la CPI. »
L’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA rejette et condamne expressément l’impunité. L’UA a aussi identifié la justice comme étant l’une de ses « valeurs communes » et 2016 comme étant l’« Année africaine des droits humains, avec un accent particulier sur les droits des femmes ».
Certains pays africains membres de la CPI prennent des mesures importantes pour limiter l’impunité, ont précisé les organisations. Lors du sommet de l’UA à Kigali du 10 au 18 juillet, plusieurs pays africains – le Nigéria, la Tunisie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Botswana et l’Algérie – se sont opposés à un possible appel au retrait massif des pays africains de la Cour pénale internationale (CPI) lancé par l’UA. Le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, le Cap-Vert et le Sénégal ont également formulé des réserves quant à la décision de l’UA, qui a été adoptée lors du sommet.
Durant la période qui a précédé le sommet, 21 organisations non gouvernementales africaines et internationales ont diffusé une vidéo présentant le point de vue de 12 activistes africains sur l’importance de la CPI et la nécessité pour les gouvernements africains de soutenir la Cour. La vidéo complète, ainsi que sa version courte, ont été vues plus de 80 000 fois sur les réseaux sociaux.
Alors qu’un comité de l'Union africaine menace de demander aux membres de l'UA de se retirer de la Cour pénale internationale, plusieurs activistes africains plaident en faveur de la CPI, en tant que tribunal international apte à rendre justice aux victimes de graves crimes et violations des droits humains quand les juridictions nationales ne le font pas.
Le retrait de la CPI est une décision qui appartient à chaque pays et ne peut pas être effectué par l’UA. Cependant, avec un appel de l’UA incitant les pays à se retirer ou à envisager de se retirer, il serait politiquement plus difficile pour les pays africains de montrer leur soutien à la Cour.
« La CPI reste le tribunal essentiel de dernier recours », a indiqué Timothy Mtambo du Malawi Center for Human Rights and Rehabilitation. « L’UA devrait contribuer à renforcer et soutenir la CPI, au lieu d’inciter ses membres à quitter l’institution. »
Le travail du Comité à composition non limitée sur la CPI est le dernier épisode en date d’une réaction hostile à la CPI de la part de certains dirigeants africains, sur la base d’allégations selon lesquelles la CPI cible de manière partiale l’Afrique. La contestation est d’abord apparue à la suite du mandat d’arrêt de la CPI en 2009 à l’encontre du président soudanais Omar el-Béchir pour des accusations de crimes graves commis au Darfour. Elle a atteint un nouveau degré d’intensité en 2013, lorsque deux suspects de la CPI, Uhuru Kenyatta et William Ruto, ont été élus président et vice-président du Kenya, respectivement.
Six des neuf situations africaines faisant l’objet d’enquêtes de la CPI ont été déférées à la demande de gouvernements africains – en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Mali, en Ouganda et deux demandes venant de la République centrafricaine. En janvier dernier, la Procureure de la CPI a ouvert la première enquête de la Cour en dehors de l’Afrique, en Géorgie, et mène actuellement plusieurs enquêtes préliminaires sur des situations en dehors de l’Afrique, notamment en Afghanistan, en Colombie, en Palestine et sur des crimes présumés attribués aux forces armées du Royaume-Uni déployées en Irak.
En parallèle, certains pays puissants, dont la Chine, la Russie et les États-Unis, tous membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que leurs alliés, ont réussi à rester hors d’atteinte de la justice internationale. Cela leur a été possible car ils n’ont pas rejoint la CPI et car ils disposent du droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, qui peut déférer les situations à la Cour. Les organisations ont encouragé l’UA à soulever ces préoccupations lors de la réunion avec le Conseil de sécurité de l’ONU.
Les trois conditions pour rester dans la CPI posées par le Comité à composition non limitée de l’UA sur la CPI lors de sa réunion du 11 avril sont :
- l’immunité en vertu du Statut de Rome de la CPI pour les chefs d’État et de gouvernement en exercice ainsi que pour les hauts fonctionnaires ;
- l’intervention de la CPI dans les affaires impliquant des États africains uniquement après que ces affaires ont été soumises à l’UA ou aux institutions judiciaires de l’UA ; et
- la réduction des pouvoirs du procureur de la CPI.
L’immunité totale pour les chefs d’État en fonction n’a jamais été possible devant les tribunaux pénaux internationaux qui jugent les crimes relevant du droit international. Jusqu’à présent, aucun tribunal international – depuis le tribunal militaire international de Nuremberg jusqu’à la CPI, en passant par les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda – n’a permis l’immunité au motif d’une fonction officielle.
En 2014, l’UA a adopté un protocole pour donner à son tribunal régional l’autorité de juger les crimes graves, tout en accordant l’immunité aux chefs d’État et autres hauts fonctionnaires en exercice. Ce protocole, qui requiert 15 ratifications avant d’entrer en vigueur, doit encore être ratifié par les États.
Le Kenya a joué un rôle majeur dans la mobilisation de l’UA contre la CPI depuis 2013. Le 19 septembre, la CPI a transmis à l’Assemblée des États parties de la CPI un constat de non-coopération de la part du Kenya dans l’affaire qui a abouti à un non-lieu contre Kenyatta. Les chefs d’accusation dans l’affaire contre William Ruto, vice-président du Kenya, ont été retirés faute de preuves en avril.
Cette décision est le premier constat de non-coopération de la CPI lié au manquement d’un pays membre de la CPI à fournir une assistance dans les enquêtes judiciaires.
Les organisations suivantes, qui sont actives dans un réseau informel favorisant le soutien pour les crimes graves, se sont associées à ce communiqué de presse :
African Center for Justice and Peace Studies (Ouganda)
Africa Center for International Law and Accountability (Ghana)
Center for Accountability and Rule of Law – Sierra Leone
Coalition for the ICC
Ghana Center for Democratic Development
Malawi Center for Human Rights and Rehabilitation
Kenya Human Rights Commission
East Africa Human Rights Defenders Network
Human Rights Watch
International Commission of Jurists – Kenya
Legal Defense and Assistance Project (Nigéria)
Nigerian Coalition for the International Criminal Court
Cet article a été publié par Human Rights Watch.