L'explosion de violence qui a fait plusieurs dizaines de morts à Kinshasa les 19 et 20 septembre fait craindre de nouveaux jours sombres pour la République démocratique du Congo, minée par une crise politique profonde liée au report de la présidentielle devant se tenir cette année.
L'intensité de ces violences "et la situation toujours très tendue [dans le pays sonnent comme] un avertissement [douloureux de l'imminence probable d'une] crise de grande envergure", a estimé jeudi, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme de l'ONU.
Tout est parti d'affrontements en marge d'une manifestation organisée par un "Rassemblement" d'opposition à trois mois de la fin du mandat du président Joseph Kabila pour lui signifier son "préavis" et exiger son départ, le 20 décembre.
Les autorités et les organisateurs de la marche se sont renvoyé la responsabilité de ces troubles initiaux qui ont dégénéré en émeutes et pillages réprimés par la police et l'armée : "mouvement insurrectionnel" contre "pouvoir sanguinaire", selon les invectives des uns et des autres.
Pour la police, les heurts ont fait au total 32 morts ; du côté de l'opposition, on parle de 50 à plus de 100 vies perdues.
"C'est la stratégie de la cocotte-minute qui est mise en œuvre", estime Thierry Vircoulon, enseignant à Sciences-Po Paris et coordonnateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
"La plupart des stratèges dans les deux camps pensent que la confrontation violente est inévitable, voire souhaitable, pour changer le pouvoir ou pour le conserver", dit-il à l'AFP, "cela s'explique par le fait que la violence fait partie du registre stratégique des politiciens congolais et que l'alternance pacifique est absente de l'histoire du pays".
"A ce titre, estime M. Vircoulon, la destruction des bureaux du PPRD [une permanence du parti présidentiel incendiée le 19, NDLR] suivie par la destruction des bureaux de l'UDPS [le siège du parti historique de l'opposition dans la nuit du 19 au 20] est un signal très clair".
La crise actuelle remonte à la réélection contestée de M. Kabila en 2011 à l'issue d'élections entachées de fraudes massives. Ses opposants le soupçonnent depuis lors de ne cesser d’œuvrer pour contourner l'interdiction constitutionnelle qui lui est faite de se représenter.
Âgé de 45 ans, M. Kabila a hérité du pouvoir en 2001 après l'assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila, qui avait chassé le dictateur Mobutu Sese Seko, à la tête du Congo de 1965 à 1997.
- 'Une étincelle' -
Confirmé à la présidence en 2006 lors des premières élections libres tenues dans l'ex-Congo belge (rebaptisé Zaïre sous Mobutu) depuis l'indépendance de 1960, Joseph Kabila ne donne aucun signe de vouloir quitter son poste alors que le report de la présidentielle est désormais consommé, la date limite pour convoquer ce scrutin ayant été dépassée, le 20 septembre.
La communauté internationale qui consacre chaque année des budgets colossaux pour la stabilisation de la RDC, l'aide humanitaire et l'aide au développement dans ce pays, ne cesse d'appeler depuis des mois au respect de la Constitution.
Mais le président congolais - qui a rencontré lundi matin le pape François à Rome - reste muet sur ses intentions.
A Kinshasa, plusieurs diplomates étrangers ne cachent pas leur inquiétude de voir le pays replonger dans le chaos des deux guerres ayant ravagé le pays de 1996 à 2003.
M. Vircoulon voit des "similitudes" entre la situation actuelle et la longue agonie du régime de Mobutu : "Loyauté superficielle de l'armée ; possibilité de plusieurs foyers de contestation en province ; système institutionnel ultra-fragile [susceptible de s'effondrer] rapidement".
En dépit des efforts du gouvernement et de l'ONU, qui déploie au Congo sa plus grosse force de maintien de la paix au monde, l'Est du pays reste déchiré par la violence des groupes armés.
Jeudi et vendredi, c'est la ville de Kananga, dans le centre du pays, qui s'est enflammée. Des partisans d'un obscur chef coutumier défunt, sommairement armés, ont réussi à s'emparer pendant quelques heures de l'aéroport avant d'en être délogés par l'armée. Plus d'une centaine de morts sont dénombrés.
De tels drames "risquent de se reproduire", s'inquiète un officier occidental en poste au Congo.
Cela développe parmi la population "le sentiment que les forces de l'ordre ne sont pas invincibles", estime-t-il, "il y a une telle pression politique et une telle détresse économique qu'il suffit d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres".