Le gouvernement colombien, sous la direction de Juan Manuel Santos, a enfin trouvé un accord de paix avec la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Après plus de 50 ans d’insurrection communiste, les Farc ont décidé de poursuivre les mêmes objectifs mais par d’autres moyens : l’accès au pouvoir politique non plus par les armes mais par les urnes. Mais la tâche reste difficile, notamment du fait d’une forte opposition au sein même du pays à cet accord et du coût de sa mise en œuvre.
Après quatre ans de négociations, l’accord entre le gouvernement colombien et les Farc, signé le 26 septembre à Cartagène, cherche à la fois à encadrer le passage de la lutte armée à la lutte politique, à assurer la réparation les victimes, tout en prévoyant un développement axé sur le monde rural et l’arrêt de la culture de la drogue. Divisé en six points, l’accord est considéré comme le plus complet que le pays ait jamais connu dans sa longue histoire de conflits.
La population aura le dernier mot
Le dernier point substantiel sur lequel un accord a été trouvé (point 3) est celui qui traduit matériellement la fin des Farc. Elles s’engagent à arrêter la guerre, rendre les armes et se réinsérer dans la vie civile dans une période de six mois. L’objectif principal de l’accord est en effet que les Farc cessent d’être un mouvement armé et deviennent un parti politique.
Pour ce faire, l’État s’engage à assurer le financement de ce mouvement pendant dix ans, à lui assurer cinq sièges de député (sur 166) et cinq de sénateur (sur 102) pendant les deux prochaines législatures. Il promet aussi d’assurer leur sécurité en renforçant la protection individuelle des membres politisés des Farc, mais également de l’ensemble des partis et mouvements politiques. Par ailleurs, l’État s’engage à participer économiquement à la réinsertion civile des anciens combattants à travers le versement d’aides sociales autour de 90 % du salaire minimum – 200 euros – pendant deux ans et celui de subventions pour la création d’entreprises.
Toutefois, pour que le processus prenne effet, il faut que la ratification de cet accord, sa mise en œuvre et sa vérification (point 6) soient effectifs. Le dernier mot sera confié à la population colombienne, qui devra ratifier les accords par référendum, le 2 octobre 2016. Le président avait fait de cette idée de ratification populaire l’un de ses étendards lors des pourparlers avec les Farc, de même qu’il a insisté sur la présence d’observateurs internationaux comme garants du processus.
Si l’accord est ratifié, l’exécutif disposera ainsi d’un cadre législatif spécial pendant six mois augmentant ses prérogatives tout en rendant la prise de décision parlementaire plus rapide. Il s’agit de faciliter la mise en place des accords. Mais surtout, ces accords auront valeur constitutionnelle pour assurer leur viabilité en cas d’alternance politique. Car l’un des grands enjeux concernant l’application de ces accords sera lié au maintien dans la durée du système de justice transitionnelle.
Une juridiction spéciale pour la paix
Après plus de cinquante ans de conflit armé, la Colombie compte plus de 7 millions de victimes et, par conséquent, un nombre très important de bourreaux. Le point sur les victimes (point 5) cherche à répondre aux demandes des victimes – vérité, justice, réparation – en même temps qu’il incite les combattants démobilisés à se soumettre à une juridiction spéciale pour la paix plus attractive que la justice normale.
Cette juridiction sera composée de 24 juges nationaux et internationaux qui auront pour rôle d’enquêter, de juger et de sanctionner les responsables des crimes. L’objectif est surtout d’établir la vérité sur les responsables des atrocités commises pendant le conflit, d’où le fait que cette juridiction puisse également juger les combattants ou complices non affiliés aux Farc. Si la collaboration avec la justice est effective, les personnes condamnées bénéficieront de peines alternatives à l’incarcération, à l’exception notable des cas des crimes contre l’humanité, qui conduiront, eux, à des peines de prison, mais réduites.
Par ailleurs, tous les délits annexes à la rébellion politique seront amnistiés, et les peines ne seront pas assorties de restrictions de participation à la vie politique. Car un des objectifs de l’accord est d’évitera reprise du conflit armé, à travers l’assurance d’une participation politique ample et diverse (point 2). Le but de l’accord n’est pas seulement d’assurer la participation politique des Farc mais bien d’ouvrir cette perspective en garantissant un cadre juridique à l’opposition et aux formes de contestation non partisanes.
Toutefois, la violence politique est une « tradition » en Colombie et les défis liés à cette participation politique échappent à l’État. D’une part, la gauche a été historiquement stigmatisée et rattachée de la lutte armée, d’où un biais culturel qui sera difficilement résolu à court terme. D’autre part, la guerre ne disparaît pas avec les accords : les Farc ne sont pas le seul groupe armé du pays.
Même si l’État partage la responsabilité de la violence politique, c’est historiquement la confrontation entre des groupes armés illégaux qui est responsable de l’anéantissement des oppositions politiques. Tant que ces groupes continuent à exister, la paix est incertaine. Un fait qui souligne l’importance d’avoir une vision consensuelle du développement.
L’enjeu crucial du développement des campagnes
Les deux premiers points sur lesquels un accord a été trouvé sont ceux relatifs aux questions sociales. Les accords s’ouvrent avec une réforme agraire (point 1) qui est considérée comme l’enjeu originel du conflit et le seul à pouvoir permettre la consolidation d’une paix stable et durable. L’objectif principal est d’assurer le développement socio-économique dans les campagnes colombiennes afin de résoudre la pauvreté et les inégalités, dans l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine.
Les instruments à disposition sont d’apparence facile mais coûteuse. Le but est de revaloriser le travail paysan à travers de l’amélioration des infrastructures, de la productivité, de l’éducation, de la santé, en même temps que l’accès à la terre est démocratisé. Cela suppose la régularisation de titres de propriété inexistants (estimés à 7 millions d’hectares) et la création d’un fonds de 3 millions d’hectares à distribuer entre les paysans sans terre.
La Colombie reste également l’un des pays les plus inégalitaires en terme d’accès à la terre. Or si l’accord cherche remédier à ces problèmes, il ne remet pas en cause le modèle agricole basé sur la (grande) propriété privée. De la naissent des défis énormes pour une mise en place effective de ce volet : alors que l’accès à la terre constitue un point d’entrée vers le développement, l’accès à la propriété n’empêche pas – à long terme – le déclin du monde paysan. L’enjeu de l’accord est d’assurer le développement socio-économique avec des investissements privés permettant d’éviter que les paysans ne se tournent vers des marchés illégaux comme celui des drogues.
Vaincre le nerf de la guerre, les drogues
L’enjeu des drogues est surtout de nature économique. En Colombie, les drogues ont été le nerf de la guerre. Le pays en exporte massivement de façon illicite depuis les années 1970, et depuis deux décennies, celles-ci sont le mode de financement par excellence des groupes armés. Pour cette raison, les accords cherchent à trouver une solution à la participation massive de la Colombie dans ce trafic (point 4).
Suivant la ligne du président Santos sur la scène internationale, les accords cherchent à promouvoir une approche humaine et sociale envers les cultivateurs et les consommateurs. Ainsi, le pilier n’est plus l’éradication des cultures mais leur substitution par des produits légaux afin que les paysans mettent un terme, de manière durable et définitive, à la culture des drogues. Or, même si la philosophie de l’accord prêche pour que cette transition soit faite collectivement dans les communautés, les bénéfices du marché des drogues seront difficilement égalés avec des productions légales. D’où un scepticisme important sur la véritable portée de ces accords, alors que les cultures illicites repartent justement à la hausse.
En somme, l’accord est ambitieux… et suscite des oppositions viscérales. Ce processus de négociation ne peut pas se comprendre sans prendre en compte l’affaiblissement des Farc suite à l’offensive militaire dirigée par l’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010), dont le président Santos était le ministre de la Défense. Or c’est l’ancien Président qui mène la danse de l’opposition aux accords de paix en considérant que l’amnistie et la participation politique représentent une défaite de la justice.
Les défis à venir sont grands. D’autant que le désormais sénateur Uribe et son parti ont toutes les chances de remporter la bataille contre les Farc, non plus par les armes mais cette fois dans les urnes.
Luis Rivera Velez, Doctorant sur la politique des drogues en Amérique latine, Sciences Po – USPC
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.