Les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) sont en train de perpétrer un génocide contre les Yazidis selon un rapport sans équivoque du musée de l'Holocauste de Washington, étayé par de nombreux témoignages d'atrocités subies par cette minorité religieuse en Irak.
Le musée, qui a interrogé en septembre des dizaines de Yazidis, a conclu que cette communauté qui n'est ni arabe ni musulmane, était la cible d'un "génocide".
Les violences -- exil forcé, massacres, enlèvements, trafic sexuel -- infligées aux Yazidis ont déjà été documentées par les Nations unies, des ONG et la presse, mais le musée américain avait pour but de "mieux comprendre si oui ou non un génocide avait été perpétré", a expliqué à l'AFP Naomi Kikoler, qui a conduit les entretiens dans le nord de l'Irak.
"Notre intention n'était pas du tout d'aller (en Irak) pour dire qu'un génocide s'était produit, notre espoir était" exactement l'inverse, précise-t-elle.
Mais en confrontant la définition onusienne et les éléments collectés, "nous n'avons pas simplement constaté l'intention" de commettre un génocide, a poursuivi Mme Kikoler.
"Nous avons constaté des actes correspondant à cette intention, ainsi que des déclarations dans les divers moyens de propagande de l'EI affirmant qu'ils agissaient conformément à leur idéologie extrémiste".
Les conclusions de ce travail ont été publiées jeudi dans un rapport, accompagné de témoignages audiovisuels.
Le document s'intéresse aux prémices des violences, alimentées par un "vide sécuritaire" en Irak, décrit le sort de Kocho, un village entièrement "détruit" et évoque d'autres minorités de la province de Ninive dans le nord du pays, victimes de "nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l'humanité".
- 'Cible facile' -
"Malheureusement, les Yazidis ont été une cible facile" dans la région du Sinjar, a déploré auprès de l'AFP Dakhil Shammo, un militant yazidi pour les droits de l'homme, lors de la présentation du rapport.
Ce secteur, où les forces kurdes irakiennes ont lancé jeudi une vaste contre-offensive, est un passage stratégique entre l'Irak et la Syrie.
Mais c'est "l'idéologie" des jihadistes qui a motivé leurs exactions, a estimé M. Shammo. L'EI "considère que les Yazidis ne sont pas des gens du Livre, qu'ils n'ont pas de livres sacrés comme les chrétiens ou les juifs". Un argument qu'utilise le groupe jihadiste pour qualifier les Yazidis d'hérétiques.
Depuis août 2014, 400.000 des 650.000 Yazidis d'Irak ont été déplacés et 7.000 ont été tués ou enlevés, a-t-il estimé.
"Il n'y pas de seuil numérique lorsque l'on parle de génocide", a de son côté insisté Mme Kikoler.
"Dans ce cas, nous pensons que des milliers de victimes ont été la cible directe des violences, la vaste majorité de la communauté a été touchée par le génocide", a-t-elle poursuivi.
- Difficile saisine de la CPI -
Cameron Hudson, le directeur du centre Simon-Skjodt pour la prévention des génocides au sein du musée, insiste lui sur le fait que "le génocide se poursuit".
"De très nombreuses femmes et des enfants qui ont été enlevés sont maintenus en esclavage par leurs ravisseurs", a-t-il souligné, alors que l'EI se targue d'avoir offert les Yazidies capturées comme butin de guerre à ses combattants.
Le président américain Barack Obama avait lui-même appelé en août 2014 à "agir, de façon responsable et prudente, pour éviter un éventuel acte de génocide" contre les Yazidis, une des justifications au lancement de la campagne aérienne contre l'EI en Irak.
Une mission d'enquête de l'ONU a par ailleurs conclu en mars que l'EI "pourrait avoir perpétré un génocide" en Irak et réclamé de saisir la Cour pénale internationale.
L'Irak n'ayant pas ratifié le traité fondateur de la Cour, cette démarche paraît hypothétique, explique Mme Kikoler. Outre la justice irakienne en laquelle les Yazidis ont peu confiance, une des pistes est que les pays dont sont issus les jihadistes poursuivent ces derniers devant les tribunaux, a-t-elle conclu.