Le 15 septembre, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a rendu public son document de politique générale sur la sélection des affaires, mettant l’accent pour la première fois sur les accaparements de terres et les ravages écologiques en temps de paix. En 2014, le cabinet d’avocats Global Diligence avait appelé la CPI à se saisir de la question des accaparements de terre au Cambodge en tant que crime contre l’humanité. Une enquête de la CPI sur ce dossier servirait non seulement de jurisprudence mais constituerait aussi un avertissement aux investisseurs, surtout dans les pays en développement.
Dans le cas du Cambodge, déplore Richard Rogers de Global Diligence, il y a, « des accaparements massifs de terres et des crimes associés de transfert forcé de population, emprisonnement illégal et parfois de meurtres commis par l’élite dirigeante contre les civils cambodgiens ».« C ela dure depuis 15 ou 20 ans », indique l’avocat britannique, soulignant que l’échelle et la nature systématique en font des crimes contre l’humanité.
Dans son nouveau document de politique générale, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, promet d’accorder une attention particulière aux crimes impliquant ou entraînant, « entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles et l’expropriation illicite de terres ». C’est donc, selon Rogers, l’occasion pour la CPI, de se saisir du dossier cambodgien. « Il est très important que la CPI fasse aujourd’hui quelque chose concernant le Cambodge, parce que la situation empire, au lieu de s’améliorer », dit-il dans un entretien avec JusticeInfo. « C’est une réelle occasion pour la CPI de faire quelque chose au Cambodge en particulier, avant que la situation ne soit hors de contrôle, et aussi dans d’autres pays confrontés à des accaparements de terres effrénés ». Pour le juriste britannique, une action de la CPI est d’autant plus urgente au Cambodge qu’aucune forme de justice ne peut être rendue dans ce domaine par l’élite au pouvoir, dont des membres sont impliqués dans ces crimes. « Les auteurs de ces crimes, l’élite au pouvoir, contrôlent aussi le système légal et il n’y a absolument aucune chance que ceux qui sont responsables de ces crimes puissent être jugés par les tribunaux cambodgiens ».
Le Cambodge étant un Etat partie au Statut de Rome créant la CPI, il est théoriquement sous l’obligation de coopérer, si la Cour se saisit du dossier.
Un nombre élevé de victimes au Cambodge
« Nous pensons que cette affaire est intéressante pour la CPI, non seulement à cause de la solidité des preuves mais aussi à cause du nombre des victimes qui est si élevé », poursuit Rogers. « Au cours des 15 dernières années, il y a eu environ 850. 000 personnes qui ont été négativement affectées par les conflits fonciers au Cambodge. Elles n’ont pas toutes été chassées de leurs terres ou de leurs maisons, mais nous pensons qu’environ 300.000 à 400.000 d’entre elles l’ont été. Donc, 300.000 à 400.000 victimes potentielles d’un crime contre l’humanité de transfert forcé de population, ce qui est un très grand nombre ».
L’ONG Global Witness a aussi mené une enquête au Cambodge. « Vous avez des forces de sécurité de l’Etat gardant des propriétés privées et punissant les communautés qui osent protester et vous avez des communautés qui perdent leurs terres », déplore Alice Harrison, conseillère principale au service de communication de Global Witness. « Elles (ces communautés) ont compté sur un lopin de terre pendant des générations mais elles n’auront pas de titre de terre. Leur problème est particulièrement difficile au Cambodge parce que les Khmers Rouges ont aboli toute propriété privée foncière, détruit les dossiers et déplacé la population entière. Vous avez des communautés qui vont se lever un matin juste pour voir un bulldozer en train de raser le terrain ou la forêt sur lesquels ils comptaient pour leur survie et celle de leurs familles »
Un avertissement
Pour Rogers, le dossier du Cambodge, si la CPI s’en saisissait, établirait non seulement une jurisprudence mais enverrait également un avertissement notamment aux sociétés occidentales qui « veulent investir dans des pays confrontés à des questions d’accaparements de terres ».
« Aujourd’hui, ces compagnies courent des risques sérieux d’être complices de crimes contre l’humanité si elles ne font pas attention », prévient-il. L’expert britannique conseille à ces opérateurs économiques de procéder à toutes les vérifications nécessaires pour que « leurs investissement ne constituent pas un mode d’aide et encouragement pour ce genre de crimes ».
Harrison est du même avis. Il ne sera plus possible, selon elle, de se réfugier derrière l’ignorance de la gravité des litiges fonciers. Elle souligne que la mise en garde concerne aussi bien les banques pourvoyeuses de financements que les entreprises commercialisant des produits agricoles issus de l’expropriation illicite de terres.
Un problème mondial
« Alors que les ressources naturelles du monde se réduisent, que la terre est rachetée, nous voyons s’intensifier la bataille pour contrôler, accéder à ces ressources et en profiter », souligne Harrison. « Vous avez une situation où, en 2015, plus de trois personnes en moyenne par semaine sont mortes en train de protéger terres et forêts, et ces personnes sont tombées sur le front de la protection de notre planète. Jusqu’à ce jour, le système de justice pénale internationale ne leur a offert aucune protection, n’a offert aucune chance de justice au nombre toujours croissant des victimes de ces crimes », fait-elle remarquer. « C’est un immense problème à travers le monde, en particulier dans les pays les plus pauvres où les systèmes de gouvernance ne sont même pas capables d’appliquer les lois existantes », conclut Harrison.