Dans une résolution adoptée en lecture unique, jeudi 6 octobre, le Parlement européen dénonce des procès politiquement motivés et des atteintes à la liberté d’expression au Rwanda. Les députés européens demandent la révision du procès de l’opposante Victoire Ingabire condamnée à 15 ans d’emprisonnement, invitent instamment les autorités rwandaises à garantir la tenue d’élections pacifiques, crédibles et transparentes en 2017 et appellent le gouvernement à dialoguer avec l’opposition en amont des élections.
Avant de dénoncer, condamner et alerter, le Parlement européen note d’importants progrès dans la transformation socio-économique du Rwanda, « l’un des rares pays d’Afrique à jouer un rôle clé dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement ». Le Parlement de Strasbourg, dont une mission se trouvait au Rwanda, en septembre, salue « la forte croissance économique du pays accompagnée d’améliorations significatives des conditions de vie ».
Il estime cependant, dans sa résolution, « que la situation des droits de l’homme dans le pays, notamment en matière de participation politique et de liberté d’expression, demeure préoccupante, tandis que la société civile indépendante est encore très vulnérable ». Il « condamne fermement les procès politiquement motivés, la poursuite d’opposants politiques et l’issue décidée à l’avance du procès; invite instamment le gouvernement rwandais à reproduire, dans le domaine des droits de l’homme, les progrès spectaculaires que le pays a accomplis dans les domaines social et économique, afin de réussir la transition vers une démocratie moderne et inclusive ».
Condamnée pour terrorisme et minimisation du génocide des Tutsi
La résolution accorde une attention particulière au cas de l’opposante Victoire Ingabire condamnée à 15 ans de prison et dont les conditions de détention seraient en train de se détériorer depuis avril dernier. Aujourd’hui âgée de 50 ans, cette mère de trois enfants, qui se trouvait aux Pays-Bas pendant le génocide des Tutsi de 1994, est rentrée au Rwanda en janvier 2010, dans l’espoir de faire enregistrer son parti créé en exil, les Forces démocratiques unifiées (FDU), et se présenter à l’élection présidentielle. Mais son parti n’a pas été reconnu par les autorités. Pire encore, elle a été arrêtée et condamnée pour « conspiration contre les autorités par le terrorisme, minimisation du génocide de 1994 et propagation de rumeurs dans l'intention d'inciter le public à la violence ». Après l’épuisement des recours judiciaires au Rwanda, les avocats de l’opposante ont saisi Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en 2015. Mais à quelques jours de l’audience, en mars dernier, Kigali a retiré sa déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour connaître des affaires soumises directement par les particuliers et les ONG.
Le Parlement européen « estime que la procédure d’appel telle qu’elle s’est déroulée au Rwanda n’était pas conforme aux normes internationales, le droit de Mme Ingabire à la présomption d’innocence ayant été bafoué; souligne que le retrait du Rwanda, en mars 2016, de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, quelques jours à peine avant l’audience de l’appel interjeté par Victoire Ingabire, est circonstanciel ». La résolution du Parlement européen demande ainsi « une révision prompte et impartiale de l’’affaire Victoire Ingabire qui s’appuie sur des faits, respecte le droit et soit libre de toute restriction, influence indue, pression ou menace; demande que les droits de Victoire Ingabire, dont le droit à une représentation en justice et à bénéficier d’un régime alimentaire et de soins adéquats, soient respectés pendant son séjour en prison ».
« Garantir la tenue d’élections crédibles en 2017 »
De façon globale, la résolution « condamne tout acte d’intimidation, toute arrestation, tout emprisonnement et toute poursuite visant, uniquement parce qu’ils ont exprimé leur opinion, les dirigeants, les membres et les militants des partis d’opposition ou les journalistes et les autres personnes perçues comme exprimant des critiques à l’égard du gouvernement rwandais ». Les députés européens demandent aux autorités rwandaises de « libérer immédiatement toutes les personnes et les autres militants emprisonnés ou inculpés uniquement parce qu’ils ont exercé leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ». Le texte mentionne, entre autres, le général à la retraite Franck Rusagara, condamné à 20 ans de prison en avril dernier notamment pour incitation au soulèvement, et le célèbre chanteur Kizito Mihigo condamné l’année dernière à 10 ans de réclusion pour complot contre le gouvernement.
Abordant le scrutin présidentiel prévu l’année prochaine, le Parlement de Strasbourg « invite instamment les autorités rwandaises à garantir la tenue d’élections pacifiques, crédibles et transparentes en 2017, et demande au gouvernement de dialoguer avec l’opposition en amont des élections; affirme son soutien à l’organisation d’une mission électorale à long terme de l’Union européenne pour les élections présidentielles de 2017, chargée d’évaluer en particulier l’espace politique et les libertés fondamentales ». Sans aller jusqu’à exiger des sanctions, les députés européens demandent enfin « à la Commission (de l’Union européenne) de réexaminer régulièrement le soutien accordé par l’Union aux institutions du gouvernement rwandais, afin de veiller à ce que ledit soutien promeuve pleinement les droits de l’homme, la liberté d’expression et d’association, le pluralisme politique et l’existence d’une société civile indépendante ».