La Cour pénale internationale (CPI) a tenu cette semaine les premières audiences de son histoire sur les réparations aux victimes de Thomas Lubanga. L’ancien chef de l’Union des patriotes congolais (UPC) a été reconnu coupable d’avoir envoyé des enfants de moins de 15 ans faire la guerre en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), en 2002 et 2003. Mais plus de quatre ans après sa condamnation à 14 ans de prison, les victimes attendent toujours réparations.
Défenseur d’anciens enfants-soldats, l'avocat Luc Walleyn ne s’embarrasse pas d’effets de manche, mais exprime en terme forts et sans détours la « frustration » de ses clients. « La chambre d’appel a dit que ‘le succès de la Cour est lié à son système de réparation’. Aujourd’hui, le système est en panne et la crédibilité de la Cour est en cause », dit-il le 11 octobre, premier jour des audiences en réparations. « Les populations victimes des crimes de masse avaient confiance en la Cour, mais cette confiance est mise à l’épreuve. Le risque existe que la Cour perde non seulement la confiance des élites africaines mais aussi des victimes africaines. » Depuis la condamnation définitive de Thomas Lubanga, le dossier des réparations patine. Les juges ont rejeté, en novembre 2015, un premier projet proposé par le Fonds pour les victimes, un organe lié à la Cour et censé récolter les donations volontaires ; d’Etat, d’organisations, ou de particuliers ; et proposer des modes de réparation. Depuis, des moyens considérables sont consacrés à des échanges sans fins entre les parties, alimentés d’aller-retour en Ituri, où se trouvent les victimes.
Ce ne sont plus des enfants
« Ils en sont au point de dire, ‘dites-nous ce que vous voulez nous consacrer et dites le vite, que l’on puisse tourner cette page’ », ajoute Luc Walleyn. Les frustrations sont multiples. « Les enfants s’approchent maintenant de la trentaine. Ce ne sont plus des enfants, il faut faire ce switch-là ! », implore-t-il presque à la Cour. « Quelle bonne idée de reboiser, de réparer une route ! Ils ne sautent pas de joie » ironise-t-il, fustigeant même « une ONG qui propose de mieux équiper les bureaux des chefs de village, quand les chefs de village ont participé au recrutement » d’enfants-soldats. Pour l’instant, la seule décision prise par la Cour est d’offrir des réparations collectives et non individuelles, comme ils l’espéraient. « Pour moi, c’est abandonner la lutte et les principes », dit l’avocat qui y voit « une prime au condamné », car « on ne pourra jamais calculer ce que coûte d’être enrôlé six mois dans une milice. Comment calcule-t-on une jeunesse perdue ? »
Le statut des victimes mis en doute
Le directeur du Fonds, Pieter de Baan, évoque trois types de réparations. Symboliques, d’abord, comme par exemple l’érection de monuments en mémoire des victimes ; psychologiques, en offrant des soins à ceux qui souffrent encore de traumatismes ; et pratiques, en offrant des formations devant déboucher sur des emplois. Mais lorsque Pieter de Baan explique qu’il faudra auparavant faire une étude de marché pour permettre de choisir les formations les plus appropriées, on touche du doigt le gouffre bureaucratique dans lequel le Fonds s’est lancé. « Ils ont dû encore et encore exposer ce qui leur est arrivé, une énième fois... C’est dur », déplore Me Walleyn. Toutes les victimes n’ont pas encore été identifiées par la Cour et le Fonds. Et de son côté, la défense espère vérifier un à un les dossiers, rappelant qu’au cours du procès, de nombreux témoins ont menti. « Si on leur avait offert la possibilité d’avoir une autre vie » ajoute l’avocat, « alors oui, ils auraient accepté d’expliquer à la défense en détail leur situation (...) Est-ce leur procès qu’on fait, lorsqu’ils doivent justifier le fait d’être victime ? » La défense de M. Lubanga assure qu’il s’agit simplement « de vérifier que les sommes qui seront mises à la charge de monsieur Lubanga seront des sommes véritablement liées au préjudice ». Pour Brigid Inder, directrice de Women’s Initiatives for Gender Justice, invitée aux audiences comme expert, les réparations collectives peuvent permettre « de faire en sorte que Thomas Lubanga « n’ait pas accès aux dossiers des victimes », car, dit-elle, elles subissent « un tourbillon de menaces, véritables ou perçues », alors que l’Union des patriotes congolais (UPC), la milice dirigée par Thomas Lubanga à l’époque des faits, « reste une force active en Ituri. » L’UPC est aujourd’hui un parti politique, « ni un groupe terroriste, ni un groupe rebelle », rétorquera son avocate maître Catherine Mabille.
L’assistance de la RDC
Lorsqu’elle rendra sa décision, la chambre devra dire de quelle somme Thomas Lubanga devra s’acquitter. Une somme qui sera très probablement avancée par le Fonds, puisque le détenu est aujourd’hui sans moyens. Interrogé sur le montant des réparations, le directeur du Fonds affirme pouvoir aller au-delà des 1 million d'euros prévu pour trois ans, mais s’avère incapable de répondre aux questions des juges sur un budget détaillé et fini par lâcher que « le montant pourra changer ». Il faudra d’abord une décision de la Cour sur le mode de réparation, puis demander aux ONG locales de faire des propositions, car c’est à travers elles que les projets seront mis en œuvre, et ensuite, les budgétiser. Pieter de Baan propose de lancer une souscription, avec l’aide de la Cour. Pour Brigid Inder il faudrait au moins 1 million par an et pendant cinq ans. Quid de la participation congolaise ? « Nous pensons que le gouvernement est responsable au premier plan de la réinsertion des enfants soldats » dit leur défenseur Me Walleyn, « mais l’assistance en RDC est depuis longtemps uniquement le fait de l’Onu et des ONG. » Pour Pieter de Baan, « le Fonds ne pense pas que la chambre puisse ordonner au gouvernement de faire quoi que ce soit au niveau financier. Ca ne veut pas dire que le gouvernement de la RDC n’a pas d’obligations générales au titre d’autres traités pour le bien-être de ses citoyens. » Le Néerlandais espère « un soutien moral, politique et financier » de Kinshasa. Invitées à se prononcer sur le programme de réparation, les autorités congolaises en reporté leur réponse à fin octobre.
Le pardon de Lubanga ?
Quand à Thomas Lubanga, il aura été le grand absent de cette audience. Incarcéré depuis décembre 2015 à la prison de Makala, à Kinshasa, où il finit de purger sa peine, les juges n’ont pas souhaité qu’il participe par vidéo conférence, comme l’avait proposé ses avocats. Depuis sa cellule, l’ancien chef de milice aurait proposé de participer à une cérémonie de pardon, « dans laquelle celui qui a commis les faits présente ses excuses à la famille qui a été victime », dit Me Mabille. « Elle a une forte charge symbolique, et nécessite que les victimes soient en face de lui ». A moins qu’il ne bénéficie d’une remise de peine, le coupable ne sera pas libéré avant 2019. Pour les victimes, il faudra encore attendre des mois avant de bénéficier de réparations concrètes pour les crimes dont Thomas Lubanga a été reconnu coupable.